Les cigognes attendent

Papa, maman, une fille et un garçon : l’ image de la famille idéale correspond toujours au projet et à la réalité des couples belges. Qui estiment devoir attendre des temps meilleurs pour procréer. Sondage.

Pour les couples provisoirement ou définitivement sans enfants, pour ceux qui n’en ont qu’un tout comme pour ceux qui en ont déjà deux, le désir et l’acquis sont les mêmes. Selon un sondage Roularta Média (1), en effet, la famille idéale est et reste composée de deux enfants, dans la tête ou dans les faits (tableau A). Certes, 40 % des couples ayant déjà deux enfants en voudraient davantage, mais rarement plus de trois. Et environ 65 % de ceux qui attendent ou ont déjà un premier bébé en voudraient deux. La moitié de ceux qui en ont trois sont satisfaits, mais un quart d’entre eux en voudraient un quatrième. L’année 2012 paraît toutefois peu propice à beaucoup de parents ou futurs parents, puisque 40 % des couples préfèrent attendre des temps meilleurs (46 % parmi les 25-34 ans et 63 % parmi les moins de 25 ans) pour procréer. Les obstacles à la création ou à l’agrandissement de la famille ? Le coût de l’éducation (22 %), des raisons pratiques liées à la taille du logement et des moyens de transport (23 %) sont avancées et, forcément, l’âge (64 % des plus de 45 ans).

Et puis, 43 % des couples sont satisfaits de leur petite ou grande famille. Les francophones sont un peu plus nombreux à vouloir se reproduire davantage qu’au taux du renouvellement démographique à l’identique : un garçon et une fille par couple. Quoique… Si l’on se base sur le peu d’intérêt aussi bien des mères que des pères à vouloir demander à la science génétique de déterminer à l’avance le sexe de l’enfant à naître (tableau D), la limitation à deux du nombre de leurs rejetons semble plus importante que la parfaite parité.

Et l’enfant unique ? Oh non, le pauvre ! semblent dire les Belges. Seuls 3,6 % ne veulent qu’un enfant. Et seulement 6,1 % des couples ayant un enfant s’en contentent.

Quel est l’âge idéal pour avoir son premier enfant ? C’est, sans surprise, la tranche d’âge entre 25 et 30 ans qui est naturellement indiquée par les couples – mais pas à 29 ans SVP ! (tableau E) Toutefois, entre l’idéal rêvé et la réalité vécue, il y a de la marge. Car si, pour 80 % des sondés, la tranche 25-30 est bien la période la plus propice pour la naissance d’un premier enfant, ils ne sont que 53,7 % à avoir  » réussi  » à le faire ainsi ! De même, si 14 % situent l’âge de 30 ans comme le moment le plus opportun – et limite – pour engendrer une première fois, seule la moitié des sondés a accueilli leur  » aîné(e)  » à cet âge précis. Il n’y a quasiment plus personne qui envisage une première naissance après 30 ans ; pourtant c’est arrivé à près de 20 % des couples et, pour être plus précis, à 18 % des mamans.

La petite famille aime la grande famille. Les grands-parents sont, en effet, considérés comme les auxiliaires les plus prisés pour permettre aux parents de combiner leurs tâches avec leurs activités professionnelles. On attend beaucoup aussi des crèches et des employeurs pour l’accueil des petits, mais aussi pour ouvrir la voie à des aménagements du temps de travail et au télétravail, notamment (tableau B). Plus de 65 % de la population réclame davantage de crèches, y compris, à raison de 50 %, dans les entreprises (tableau E). Ces demandes sont plus fortes que la revendication d’une augmentation des allocations sociales ou des allégements fiscaux pour les familles. Mais à l’Etat, celles-ci réclament plus de congés parentaux. Et que les pères puissent  » prendre  » trois mois comme les mères plairait à 81 % des sondés (à 77 % des hommes).

Les avancées sociales semblent en tout cas privilégiées par rapport aux avancées scientifiques pour venir en aide aux familles. Car les manipulations génétiques restent largement rejetées. Les mères porteuses, toutefois, trouvent grâce aux jugements éthiques des Belges. Et en matière de contraception, la pilule pour hommes est une  » bonne idée  » pour 64 % des mâles et pour 68 % des femmes. Plus on avance en âge, plus elle est plébiscitée.

Noyau de base de la société, la famille a-t-elle, aujourd’hui, de grandes attentes vis-à-vis d’elle ? Ou la société attend-elle des familles qu’elles assurent le renouvellement démographique ? Il y a au moins cinquante ans qu’on ne fait plus d’enfants pour la nation. Si le sondage indique à quel point les familles comptent sur elles-mêmes, il montre aussi que la société ne peut pas  » refiler  » l’éducation – ce qui n’est pas nouveau – ni surtout l’accueil des enfants aux seuls réseaux familiaux. La Ligue des familles vient justement de sortir une enquête mettant en lumière un manque flagrant de structures d’accueil : 73 % des parents rencontrent, en Communauté française, des difficultés à trouver une solution d’accueil pour leurs enfants de moins de 3 ans (2). Certes, ceux qui ont trouvé sont satisfaits à raison de 65 %. Mais concrètement, 17 % des enfants de moins de 3 ans n’ont que leur(s) parent(s) – bien malgré eux – pour s’en occuper, obligeant la mère, le plus souvent, à se retirer du marché du travail (12 %) ou, à tout le moins, à aménager ou à réduire son temps de travail (25 %). Quand la mère est seule, c’est la galère, et le danger de rupture sociale, voire le spectre de la paupérisation se profilent. Quelque 15 % des sondés n’ont pas déniché de place d’accueil pour des raisons financières. Et 30 % des familles monoparentales n’ont pas trouvé la solution souhaitée pour des raisons de distance géographique : rien à proximité, et quand on n’a pas de voiture…

Désenchantements

L’image d’Epinal familiale sur l’air de La Mélodie du bonheur a pris plus d’une ride dans la société postmoderne. La famille nombreuse appartient depuis longtemps au passé.  » La famille n’existe plus  » va même jusqu’à dire avec un peu de provocation le directeur général de la Ligue… des familles ! Entendez la famille classique.  » Les enquêtes et les sondages peinent à cerner la réalité modifiée de ce qu’on appelle la  »famille » d’autant que les sondés peuvent avoir tendance à se raconter des histoires ou à idéaliser leur propre histoire « , poursuit Denis Lambert.  » Dans un monde en crise économique et climatique, à cause aussi, souvent, des tensions professionnelles, l’histoire familiale se doit d’être belle, en tout cas en apparence.  » Ces désenchantements expliquent peut-être l’attentisme des cigognes, en cette année 2012, mis en lumière par le sondage de Roularta Média.

Pour Denis Lambert, le mot  » famille  » ne désigne pas suffisamment  » la mobilité et la diversité  » qui caractérisent le concept : le statut de la famille varie dans le temps, un mariage sur deux court le risque d’être dissous, les familles recomposées sont légion, les familles monoparentales flirtent avec l’exclusion sociale et les familles-sandwichs font supporter aux  » 55 ans  » le cumul de la charge de parents âgés et de jeunes Tanguy que le manque d’emplois fait s’incruster à la maison ou, au mieux, entrer dans des carrières cabossées. Ainsi on devient parent de plus en plus tard. Les familles même unies se dispersent davantage géographiquement : comment un jeune couple déraciné, installé à Bruxelles pour des raisons professionnelles, peuvent-il encore compter sur des parents restés à Libramont pour garder ses enfants ?

La valorisation et le soutien de la parentalité ne peuvent faire l’impasse sur ces bouleversements sociologiques. Pour la Ligue des familles, les politiques d’accueil de l’enfance, sous-financées actuellement, devraient en être le vecteur essentiel :  » Un Etat qui investit dans les crèches, la garde d’enfants et l’accueil extrascolaire peut, via l’éducation, l’inclusion sociale et le soutien à l’emploi, espérer un retour sur investissement de plusieurs fois le capital investi. « 

L’enfant, éternel pari sur l’avenir !

(1) Le sondage a été effectué par Roularta Média, dont Le Vif/L’Express fait partie, et en collaboration avec Euromut, sur la base d’un échantillon national de 8 714 personnes, par Internet, durant la première semaine de janvier 2012. Plus de 86 % des sondés ont des enfants ou en attendent prochainement (20 %).

Parmi les 19 % qui ont eu des difficultés à avoir des enfants, 35 % ont opté pour l’insémination artificielle et 34 % pour la fécondation in vitro. Plus de 7 % ont adopté. La marge d’erreur est de 5 %.

(2) www.citoyenparent.be

VOIR L’ENQUÊTE COMPLÈTE SUR WWW.LEVIF.BE

PIERRE SCHÖFFERS

Un enfant sur six de moins de 3 ans ne trouve pas de place d’accueil

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