Les caillots oubliés

Elles paraissent peut-être moins  » nobles  » que les thromboses artérielles qui mènent à l’infarctus. Elles sont, en tout cas, moins connues. Pourtant, loin d’être anodines, les thromboses veineuses seraient plus fréquentes qu’on ne le pensait

Gare aux caillots ! Logés dans une artère, ils conduisent parfois à l’infarctus ou à l’accident vasculaire cérébral. Dans une veine, ils peuvent également être la source de gros pépins. Comme une phlébite ou, plus grave encore, une embolie pulmonaire. Il suffit en effet qu’un fragment de ce caillot (un embole) se détache et migre dans les veines, avant de traverser le c£ur puis atteigne les vaisseaux plus étroits du poumon et y soit bloqué.

 » Dans notre pays, on peut estimer que 7 000 cas d’embolie pulmonaire surviennent chaque année : de 700 à 850 personnes en meurent. Quant aux thromboses situées dans les veines profondes, elles toucheraient plusieurs dizaines de milliers de patients par an, laissant souvent de graves séquelles et, surtout, un risque élevé de récidive « , explique le Pr Cédric Hermans, responsable de l’unité hémostase-thrombose, dans le service d’héma- tologie des cliniques universitaires Saint-Luc (à Bruxelles). Tous les ans, la maladie thrombo-embolique concerne plus de 1,5 million d’Européens.

En général, le grand public connaît les causes des thromboses artérielles : un cholestérol élevé, le diabète, le tabagisme, l’hypertension, les antécédents familiaux. En revanche, les thromboses veineuses (communément appelées phlébites) et leurs causes restent largement sous-estimées ou méconnues. Dans de nombreux cas, le développement de ces caillots est favorisé par un facteur héréditaire. Sur 100 personnes touchées, plusieurs dizaines sont porteuses d’une anomalie génétique qui augmente leurs risques de développer une thrombose veineuse ou une embolie pulmonaire. On parle alors de  » thrombophilie « . Mais, souvent, cette prédisposition ne suffit pas, à elle seule, pour déclencher la maladie thrombo-embolique. D’autres circonstances de la vie s’ajoutent généralement à ce premier facteur : la grossesse, par exemple. Ou la présence de varices. Ou un cancer. Ou la pilule contraceptive. Ou un traitement substitutif hormonal donné lors de la ménopause. Ou l’âge…

Toutefois, les patients qui courent le plus de risques de développer une thrombose veineuse ou une embolie pulmonaire sont ceux qui sont hospitalisés, surtout lorsqu’ils subissent une intervention chirurgicale. En effet, la chirurgie, surtout lorsqu’elle est lourde, implique une immobilité, peu propice à un bon retour veineux du sang vers le c£ur avec, de surcroît, un sang plus épais qui stagne davantage dans les veines. De plus, souvent, lors de l’opération, des dégâts sont commis sur la veine, ce qui accroît le risque de phénomène anti-inflammatoire à l’endroit lésé.

Elle passe souvent inaperçue

Certes, ces circonstances à risques sont connues des médecins (et, en particulier, des hématologues). Pourtant, selon la récente étude Vitae, menée dans six pays européens, l’ensemble des services hospitaliers feraient bien de se méfier davantage de ce type d’affections. Ils peuvent en effet les prévenir par une thérapie adaptée, c’est-à-dire une prise d’anticoagulants (héparine) qui fluidifie le sang et facilite le retour veineux.  » Or, d’après Vitae, en chirurgie générale, 19 malades sur 100 présentaient des caillots. Pour 7 %, il s’agissait de gros caillots qui ont provoqué 7 % d’embolies pulmonaires, fatales dans 1,6 % des cas, constate le Pr Hermans. Plus étonnant et plus dramatique encore : en orthopédie, où l’on sait que les poses de prothèse du genou ou de la hanche suscitent souvent de tels problèmes, environ 50 % des patients avaient des caillots, souvent silencieux, c’est-à-dire sans symptôme apparent, mais pas moins anodins. Toujours selon cette étude, à peine 40 % des patients chirurgicaux en situation clinique à risques recevraient un traitement susceptible de les protéger le plus possible. Enfin, les malades hospitalisés en médecine interne ne sont pas épargnés : chez eux aussi, les risques de thrombose veineuse sont bien présents.  »

En fait, que ce soit à l’hôpital ou en ambulatoire, bien souvent, faute de signes évidents, la thrombose passe inaperçue.  » Il n’est pas rare qu’une thrombose veineuse n’entraîne aucun signe ! précise le Pr Hermans. Elle peut cependant se manifester par une raideur à la jambe, un gonflement, une impression de chaleur ou une douleur ou d’autres symptômes peu évocateurs de la présence d’un caillot et qui peuvent égarer le diagnostic. Quant à un essoufflement inhabituel avec une douleur à la poitrine, il n’est que rarement associé, dans l’esprit de celui qui les ressent, à une possibilité d’embolie pulmonaire, pourtant mortelle.  »

 » Lorsque l’on a déjà souffert d’une thrombose ou d’une embolie, le risque d’en subir à nouveau est accru. Les personnes à risques doivent donc penser à en parler systématiquement aux médecins, à charge pour eux de mettre en place une attitude de prévention thérapeutique offensive « , commente l’hématologue. Loin de lui l’idée de se mettre à traquer tous les patients hospitalisés pour les mettre tous sous anticoagulants. Mais, de manière générale, il y aurait sans doute moyen de mieux protéger ceux chez qui un incident thrombotique peut être suspecté ou redouté.  » Si on reste alité chez soi avec une pneumonie pendant dix jours et que l’on a eu une thrombose dix ans auparavant, le médecin doit en être informé afin de prendre les mesures de prudence qui s’imposent « , précise-t-il. En France, d’ici à 2008, une baisse de 15 % des thromboses veineuses, fardeau de santé publique, fait partie des objectifs officiels de santé publique.

Pascale Gruber

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