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Les bénéfices de la durabilité

Siem de Ruijter souhaite contribuer à la protection de la planète de par son plaidoyer en faveur du placement durable. Et ce même s’il doit dissiper, année après année, les mêmes malentendus, entre argent et bien faire.  » Si investir pour sa pension ou pour ses enfants est un geste pour l’avenir, pourquoi choisir un fonds qui ne serait pas durable?  »

Siem de Ruijter enseigne l’investissement à l’UC Leuven-Limburg (UCLL) depuis plus de 10 ans. Il est l’inspirateur de la plate-forme d’apprentissage en ligne Duurzaam Beleggen Academy, co-auteur du livre ‘Ethisch beleggen is voor iedereen’ (‘L’investissement éthique concerne tout le monde’), collabore au label Towards Sustainability et siège au Conseil ISR (Investissement Socialement Responsable) de BNP Paribas Fortis. « Je participe à de nombreuses réunions concernant l’investissement responsable. Et même si le sujet est passionnant, je me dis souvent qu’il est tellement technique que ce ne sera pas facile de convaincre le consommateur. Mon but est de rendre plus compréhensible le placement durable et de convaincre les investisseurs. »

En 2019, pour chaque 100 euros investis en Belgique, 22 euros sont allés à des produits d’investissement durable.

Le mot ‘durable’ devient tout doucement une notion ‘fourre-tout’ et un peu galvaudée, tant et si bien qu’il risque de perdre de sa valeur. Que faut-il entendre exactement par ‘placement durable’?

Il existe en effet pas mal de définitions de la durabilité. En ce qui me concerne, durable signifie simplement ‘qui a une longue durée’. Quand on investit, il faut le faire dans des entreprises qui seront encore là dans 10 ans et qui, dans le cadre de leurs activités, prennent également soin de notre planète et de la société dans laquelle elles fonctionnent.

Pour sortir le placement durable de la dimension du bien-penser et des bonnes intentions, je me réjouis de l’introduction d’un concept comme les critères ESG qui permettent de le rendre tangible. Les critères ESG font désormais figure de norme pour les placements durables dans le monde de l’investissement. Ils mesurent l’impact concret d’une entreprise selon trois axes fondamentaux: l’environnement, le social et la gouvernance. C’est vraiment du concret. Un exemple très clair avec Colruyt, une chaîne de supermarchés qui exerce de facto une pression sur l’environnement. Colruyt s’efforce de contrôler cet impact autant que possible, notamment en suivant de près la consommation en énergie de ses magasins, en faisant rouler un maximum ses camions à l’hydrogène, en investissant dans des parcs éoliens… Sur le plan social, on peut observer comment ils traitent leurs fournisseurs et s’ils paient correctement leur personnel. On pourrait se dire qu’un personnel bien rémunéré implique une diminution des bénéfices pour l’entreprise et que c’est donc moins intéressant en tant qu’investissement. Mais voyez l’entrée en Bourse ratée de Deliveroo: elle est due en partie au fait que les investisseurs n’acceptent plus que le personnel d’une entreprise soit mal traité. Ce qui n’aurait peut-être pas été le cas il y a 5 ans mais les choses sont vraiment en train de changer sur le plan social. Et pour terminer, il y a la bonne gouvernance. L’entreprise a-t-elle une politique transparente? A-t-elle des objectifs de développement durable (ODD) et les suit-elle efficacement? Toutes ces informations s’avèrent très précieuses et utiles.

N’y a-t-il pas une certaine forme de subjectivité dans l’évaluation? Le solaire et l’éolien sont clairement ‘bons pour l’environnement’ mais quid des petites centrales nucléaires par exemple? Selon Bill Gates, elles sont indispensables dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Savoir si les centrales nucléaires sont durables ou non est un débat très intéressant. Quand je conseille des investisseurs, je vérifie quelle importance ils accordent à la durabilité, ce qu’ils considèrent comme le plus important. Je leur conseille ensuite de rechercher ces aspects dans leurs placements.

Certaines banques ne proposent pas de placements dans le nucléaire ou le pétrole. D’autres en revanche disent qu’elles le font mais que c’est également dans une perspective de durabilité car elles veulent ‘motiver les compagnies pétrolières à passer au vert’. Je peux imaginer que certains investisseurs suivent ce dernier raisonnement, alors que d’autres frémissent à cette seule idée. Ce qui est clair, c’est qu’il faut entamer un dialogue sur la durabilité. En revanche, il faut absolument démasquer le greenwashing, c’est-à-dire des entreprises qui, pour des raisons de marketing, déclarent faire des efforts alors qu’elles n’en font rien.

Comment l’investisseur moyen peut-il y voir plus clair dans tout cela?

Il s’agit toujours d’une quête un peu ardue mais les choses s’améliorent. En ce sens, la directive SFDR ( Sustainable Finance Disclosure Regulation) publiée par l’Europe le 10 mars dernier est une bonne chose. Cette directive impose l’harmonisation et la transparence aux acteurs financiers de façon à permettre leur évaluation et leur comparaison en matière de durabilité, tant au niveau entreprise (comment se comporte la banque ou l’assureur) qu’au niveau produit.

Il y a aussi le label Towards Sustainability qui a entre-temps déjà été attribué à 500 produits financiers. Cela ne signifie évidemment pas que ces produits sont tous aussi bons les uns que les autres. Certains fonds d’investissement sont vert foncé, d’autres vert clair. D’où, encore une fois, l’importance de la transparence et du rôle que tient l’Europe. Parce que, avouons-le, sans une contrainte légale, tout risque de rester très superficiel.

On ne pourrait pas faire les choses beaucoup plus simplement? Sur le modèle par exemple du ‘nutriscore’, où la durabilité d’un investissement serait catégorisée A, B, C, D ou E?

Cette option n’existe pas encore vraiment mais j’ai l’impression que quelque chose de ce genre pourrait très bien se profiler. Pour l’instant, on peut déjà cliquer sur chacun des 500 produits repris sur le site Towards Sustainability pour obtenir plus d’informations à leur sujet. Je crains néanmoins que la plupart des investisseurs ne puissent pas tirer grand-chose de ces données. Il serait donc important de traduire ces informations en quelque chose de compréhensible. Voir A, B, C, D ou E pour un produit ne donne pas encore toutes les indications à son sujet mais c’est déjà quelque chose. Et un bon point de départ pour des informations plus approfondies. Il faut donner du temps au temps. Les labels sont déjà là. L’étape suivante pourrait établir ces catégories de type ‘nutriscore’, et l’étape encore suivante serait de placer la barre plus haut.

Mais vous avez raison. Les choses ne sont pas simples pour les investisseurs qui recherchent des placements durables. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a en Belgique plusieurs banques, par exemple Triodos, qui vont très loin dans leur proposition de durabilité. Elles expliquent la façon dont elles fonctionnent et en quoi consiste leur sélection. Les grandes banques font elles aussi des efforts en ce sens, certaines plus que d’autres. Un conseil: renseignez-vous auprès du conseiller de votre banque. C’est ce que vise l’ONG FairFin avec la semaine Move Your Money : ‘allez vous informer auprès de votre banque et si vous estimez qu’elle ne va pas assez loin en matière de durabilité, transférez votre argent ailleurs’.

Plusieurs dizaines d’études scientifiques montrent que les investissements durables ne rapportent pas moins que les investissements classiques.

Opter pour l’investissement durable équivaut-il à opter pour moins de gains? En d’autres termes, faut-il payer pour avoir une bonne conscience verte?

Plusieurs dizaines d’études scientifiques montrent que les investissements durables ne rapportent pas moins que les investissements classiques. L’année dernière, leur rendement a même été supérieur. Je préfère néanmoins rester prudent car rien n’indique qu’il en sera de même cette année et les suivantes. En effet, si je considère la chose avec cynisme et que j’introduis la covid-19 dans l’équation, je pourrais dire: nous ne prenons presque plus l’avion et nous roulons moins en voiture, il est donc logique que les fonds traditionnels en soient impactés.

En même temps, je suis fermement convaincu que les entreprises qui s’engagent dans la durabilité en seront récompensées, à terme, car elles réaliseront des économies. Leur réputation n’en sera que meilleure et elles encourront moins d’actions en justice. En outre, des études montrent que de solides pratiques ESG induisent de meilleurs résultats opérationnels pour les entreprises. Les entreprises qui agissent de manière durable en récolteront les fruits et créeront une valeur ajoutée pour l’environnement, la société et les investisseurs. Donc, si vous avez le choix entre un fonds traditionnel et un fonds durable, pourquoi encore choisir la variante traditionnelle? Personnellement, cela fait plusieurs années que je n’investis plus dans le pétrole, c’est une histoire un peu en fin de course. Si vous prenez le rapport annuel du groupe pétrolier Shell, vous y lirez que ce dernier considère les poursuites judiciaires et les amendes comme un risque important.

À quel point l’investissement durable est-il populaire?

MIRA (Milieurapport Vlaanderen) publie chaque année une étude sur l’épargne et les investissements durables en Belgique, en collaboration avec l’Université d’Anvers et le Forum Ethibel. Le dernier rapport paru le 15 octobre 2020 couvre les chiffres jusqu’à 2019 inclus. Il en ressort que tant le nombre de produits d’investissement que le total des volumes investis en Belgique ont augmenté de manière significative en 2019. Le montant total investi en mode durable s’élevait à 28 milliards d’euros en 2018, pour atteindre 48,6 milliards d’euros en 2019, ce qui représente une augmentation de 74% en un an. L’indice de marché Ethibel de l’investissement socialement responsable (ISR), qui indique le ratio entre produits d’investissement responsable et fonds de placement, était resté sous la barre des 10% jusqu’en 2016, avant de connaître une forte croissance pour atteindre 12% (2017), 15% (2018) et 22% (2019). En d’autres termes, pour chaque 100 euros investis en Belgique, 22 euros sont allés à des produits d’investissement durable.

Si l’investissement responsable est bénéfique pour tout le monde, ne serait-ce pas une idée de l’encourager fiscalement?

J’ai un rapport amour-haine avec les incitants fiscaux. Dans le sens où ils coûtent de l’argent et que cet argent doit toujours venir de quelque part. Mais je comprends votre raisonnement. Nous voulons inciter les gens à se tourner davantage vers les placements durables et la fiscalité peut évidemment aider. Il existe déjà des déductions fiscales pour l’épargne-pension, par exemple. Le gouvernement pourrait décréter que si ces fonds de pension ne sont pas durables sur 3 ans, alors la concession fiscale prend fin. En principe, cela pourrait se faire assez rapidement. Et certainement pour l’épargne-pension, l’épargnant rêvant d’un bel avenir à long terme, ce serait une étape logique qui n’aurait pas d’impact immédiat sur le budget.

Siem de Ruijter:
Siem de Ruijter:  » Mon but est de rendre plus compréhensible le placement durable et de convaincre les investisseurs. « © PG
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