Les Baltes n’oublient pas

Ces pays qui ont subi le joug soviétique réclament que l’Union européenne condamne les crimes du communisme. Mais peinent à convaincre les autres Etats membres.

L’Histoire est écrite par les vainqueurs, les victimes du totalitarisme soviétique n’ont donc toujours pas leur mémorial  » : ce constat, doublé d’un appel à la conscience de l’Europe, l’éminent professeur de l’université de Lettonie Inese Vaidere le réitère à toute occasion depuis qu’elle siège au Parlement européen. Sur les mêmes bancs du groupe Union pour l’Europe des nations (UEN), son compatriote Girts Valdis Kristovskis, ancien ministre de l’Intérieur puis de la Défense, juge quant à lui  » difficile de parler d’un passé commun dans l’Union européenne, puisqu’on n’y montre que peu d’intérêt pour les massacres perpétrés dans les pays de l’Est et en Russie « .

Des pages de l’histoire peu attrayantes

La condamnation formelle des crimes massifs du stalinisme par l’Europe est encore très loin. Car ce sont là des pages de l’Histoire –  » oubliées ou mal présentées « , selon la parlementaire lettonne – que peu d’Etats membres, mis à part les Baltes, souhaitent relire. Cet  » oubli « , ajoute-t-on à la Commission européenne, tient aussi à ce qu’un tel travail de mémoire doit s’entourer de toutes les  » certitudes juridiques « .

Afin de réveiller les mémoires, justement, les deux eurodéputés ont donc fait financer par leur groupe politique un documentaire du jeune réalisateur letton Edvins Snore sobrement intitulé The Soviet Story. Fruit de nombreuses années de collecte d’archives, ce film, tourné dans sept pays, est un réquisitoire attendu, mais aussi puissant, qui passe en revue les années de l’horreur : la famine planifiée en Ukraine (1932-1933), le massacre de milliers de Polonais à Katyn (1940), la collaboration du début entre les régimes stalinien et nazi – et certaines de leurs similitudes – les déportations en Union soviétique, et, bien sûr, le goulag. Jusqu’à des images floues tendant à montrer que des expériences médicales ont été pratiquées sur des prisonniers dans le camp de Magadan, en Sibérie. La première de cette  » Histoire soviétique  » a eu lieu le 8 avril dernier au Parlement européen, à Bruxelles. Elle n’a pas attiré les foules. Quelques députés baltes avaient, évidemment, tenu à être présents, pour redécouvrir un passé qu’ils ne connaissent que trop bien. Parmi eux, la référence : Vytautas Landsbergis, l’ancien président lituanien. Mais de députés d’autres Etats membres, point. Qu’à cela ne tienne, le combat pour le devoir de mémoire continue, sur le terrain législatif.

Un rapport dans deux ans…

Les pays Baltes ont demandé, en vain pour l’instant, qu’une référence aux crimes du stalinisme soit insérée dans un texte de l’UE, en voie d’adoption, sur  » la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal « . Ce sera une  » décision-cadre  » du Conseil des ministres que les Etats devront transcrire dans leur droit national, sans pour autant que l’UE puisse les attaquer devant la Cour de justice européenne en cas de non-transposition. Comme le veut la tradition communautaire, un compromis, un brin bancal, a toutefois été imaginé : la Commission européenne s’est engagée à présenter un rapport sur la revendication balte dans un délai de deux ans, et proposera alors les moyens d’y répondre. Pour l’heure, le texte n’est toujours pas définitivement approuvé, malgré un accord politique au niveau ministériel en avril 2007. Reste à s’assurer du feu vert des Parlements nationaux. Et, en premier lieu, celui de la Lituanie.

Avides d’Europe, les pays Baltes ne sont toutefois pas rancuniers face aux atermoiements de l’Europe occidentale. La Lituanie et la Lettonie viennent tout juste, le 8 mai, de ratifier le traité européen de Lisbonne. l

François Geoffroy

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