Les avocats sur le terrain

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Le droit du sport est devenu une spécialisation juteuse. Les clubs ont leurs conseillers juridiques et, comme les conflits sont légion et à la mesure de l’argent brassé par le sport, les avocats sont très demandés

Au pied lévé, Me Laurent Denis, qui devait parler des agents des joueurs, a dû être remplacé par un autre orateur au colloque organisé, la semaine dernière, à Tubize, par le Jeune Barreau de Bruxelles. Il faut dire que l’intéressé est actuellement sous le coup d’une inculpation pour abus de biens sociaux dans le cadre de l’enquête menée par la juge d’instruction Silvania Verstreken sur les matchs de football truqués. Le conseiller juridique du président de La Louvière, inculpé comme lui, cultive plutôt la discrétion à présent et prépare sa propre défense avec son conseil, Me Marc Uyttendaele. Il fait sans doute le tri dans les différentes casquettes qu’il portait trop visiblement depuis deux ans. Il symbolise aussi le flou qui, parfois, caractérise les rapports entre les  » conseillers du sport  » (agents, avocats…) et les acteurs.

Les clubs – pardon : les entreprises sportives – collectionnent les juristes et vice versa. Les joueurs et les coureurs y ont de plus en plus recours pour leur défense : Me Denis avait, entre autres, réhabilité le coureur wallon Christophe Brandt, exclu du Tour de France 2004 pour dopage finalement non avéré ; Me Jean-Louis Dupont est, en quelque sorte, le maître artisan de l’arrêt Bosman de 1995 sur la libre circulation des joueurs ; Pierre François, directeur général du Standard, est un juriste. Les hommes de robe ont le vent en poupe autour des stades et sur les tapis verts. Grands procéduriers, ils excellent devant les instances internes des fédérations sportives et des coupoles internationales, dans les médiations et devant les juridictions ordinaires. Les affaires se multiplient et les jeunes juristes se pressent au portillon :  » Nous sommes submergés de demandes de stages « , témoigne Me Spreutels, l’une des toges (souvent teintée du mauve anderlechtois…) les plus célèbres du royaume.

Le sport revendique une place à part dans le droit.  » Il est évident qu’il y a une spécificité sportive, argumente Me Jean-Paul Lacomble. On imagine mal un policier dire stop à François Duval pour excès de vitesse en plein rallye ou voir ce même agent dresser un P.V. à un boxeur pour avoir frappé son rival en plein match ! On est, ici, dans le champ contractuel. Un juge civil a le droit de regarder ce qui se passe dans un groupement sportif, mais n’a pas vocation à devenir une sorte de tribunal d’appel d’une décision.  »

Le droit spécifique, parallèle en quelque sorte, donne pas mal de travail aux hommes de loi. Une affaire de spécialistes. Les procédures d’arbitrage, entre autres, se sont sensiblement développées ces dernières années, tant au niveau belge qu’international, devant le célèbre Tribunal arbitral du sport de Lausanne (le TAS) qui dépend du Comité olympique international. On dit de toutes ces procédures qu’elles relèvent d’une sorte de justice  » privée « . En gros : deux parties ont un différend ; elles choisissent trois arbitres d’un commun accord ; une décision est rendue qui a autorité de la chose jugée. Pour autant que la décision ne contrevienne pas au droit public.

C’est une procédure souple, rapide et qui réclame peu de moyens, pointe Me Louis Derwa. Aux Jeux olympiques, une décision peut ainsi être rendue dans les vingt-quatre heures. Il s’agit souvent d’affaires liées au dopage même si, à Athènes, en 2004, le TAS a décidé de rendre à l’équipe de France d’équitation la médaille d’or de concours complet par équipes. En cause ? Une pénalité non attribuée à un cavalier allemand.

Chez nous, une Commission d’arbitrage pour le sport existe depuis 1991 sous l’égide du COIB (Comité olympique et interfédéral belge). Elle a eu à se prononcer à 44 reprises ; la moitié des sentences ont toutefois été rendues au cours des trois dernières années. Les procédures d’arbitrage sont en croissance exponentielle, selon le credo qu’un bon accord  » en interne  » vaut mieux qu’un mauvais (coûteux) procès. La Commission d’arbitrage pour le sport vient d’être saisie par le RAEC Mons, en ce début de semaine, suite à la décision du Comité exécutif de l’Union belge de football de retirer tous les points attribués aux adversaires du club en faillite de Heusden-Zolder ( lire page 7).

Juridique et financier

La complexité de la Belgique régio-communautarisée fait, on peut l’imaginer, la joie des chirurgiens du droit. Elle a généré, par exemple, non pas un mais bien trois statuts pour les agents de sportifs agissant dans le pays, le droit du sol, selon que celui-ci est flamand, wallon ou bruxellois, changeant la donne ( lire l’encadré). L’avocat Johan Vanden Eynde rappelle aussi que 17 ministres sont susceptibles de s’occuper de sport en Belgique…

Les différends entre les sportifs et les autorités du sport se doublent de procédures et de conflits entre les acteurs et leurs fédérations. L’examen de l’octroi des licences pro du foot belge, qui vient de se traduire, sauf revirement en appel, par les relégations de La Louvière et de Mouscron ( lire page 7) , relève de cet ordre. En cyclisme, les organisateurs des grands Tours en veulent à l’Union cycliste internationale pour leur perte d’autonomie sur leurs épreuves en raison du règlement du challenge ProTour. Une affaire de sous aussi tout comme l’est le grand différend qui secoue actuellement le foot européen. La Ligue des champions génère un chiffre d’affaires de l’ordre de 590 millions d’euros rien que pour la saison 2005-2006. Une grosse partie tombe dans les caisses des clubs mais cela reste insuffisant aux yeux des plus riches réunis au sein du G-14 (18 clubs, aucun belge), qui demande la cogestion de la fameuse compétition.  » L’Uefa (Union européenne de football association) n’est pas la seule propriétaire des droits, s’insurge Jean-Louis Dupont, conseil du G-14. Les clubs en sont copropriétaires et nous voulons donc gérer notre bien avec l’Uefa. Le problème est que nous ne sommes pas actuellement dans un contexte de négociations.  » C’est dit élégamment car, menace de sécession à l’appui, c’est un véritable bras de fer qui est engagé. Juridique, notamment. De belles carrières d’avocat se jouent là aussi…

Alexandre Charlier

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