» Les attentats ne doivent pas faire craindre une guerre civile « 

Selon le politologue Hassan Bousetta, nous ne sommes pas en présence d’un bloc contre l’autre, d’un côté les musulmans, de l’autre, le reste de la société. Et les attentats du 22 mars n’y changeront rien.

Le 22 mars change-t-il quelque chose ? Va-t-il déboucher sur une hostilité grandissante à l’égard des musulmans ? L’opposition entre deux blocs,  » nous « , et  » eux « , les musulmans, peut-elle se traduire dans la violence ? Eléments de réponse avec le politologue Hassan Bousetta, professeur à l’ULg et spécialiste du monde arabe et des migrations.

Le Vif/L’Express : Face à un effet de terreur sidérant, faut-il craindre une guerre civile ?

Hassan Bousetta : Evidemment, des réactions à chaud ne sont pas à exclure, notamment sur les réseaux sociaux. Un climat de suspicion, voire d’agressivité, s’est installé et donc, ce risque n’est pas à écarter. Mais ne crions pas trop vite au loup. Là où le terrorisme a frappé, de Paris à Londres en passant par Madrid, les populations n’ont pas suivi cette voie et ont montré qu’elles savaient faire la part des choses. Ce qui faisait partie du projet terroriste, à savoir enclencher le processus conduisant à une guerre civile entre  » communautés « , ne s’est pas produit.

Mais le traumatisme est immense. Cela va forcément accentuer les tensions et les actes antimusulmans ? L’ennemi n’est-il pas intérieur ?

Il faut comprendre que nous ne sommes pas en présence d’un bloc contre un autre, d’un côté les musulmans, de l’autre, le reste de la société. Tout simplement parce que la  » communauté  » musulmane, ça n’existe pas. Pour être succinct, la  » communauté  » musulmane, ce sont un tiers de pratiquants, un tiers de non-pratiquants et un tiers qui bricolent. Ce n’est pas une communauté… Par contre, il existe bien des  » casemates  » identitaires à l’arrière-plan, qui nous sont hostiles, et auxquels des musulmans s’identifient. Quant aux non-musulmans, jamais aucune société n’est unanime sur quoi que ce soit. Il n’y a pas au sein de la société belge de réaction linéaire.

En somme, la Belgique s’avère bien outillée pour se montrer à la hauteur ?

Oui, mais au-delà des aspects sécuritaires et policiers, qui relèvent de l’Etat et de ses appareils, la société civile a aussi un travail à réaliser pour renforcer ses moyens de résistance au terrorisme. Personnellement, à chaque fois, je suis sidéré de voir que ceux qui encadrent les jeunes dans les quartiers difficiles ne leur offrent jamais une lecture de la réalité mondiale : qu’est-ce qui se passe en Syrie ? c’est quoi Daech ? etc. Ce qui, par conséquent, entraîne chez ces jeunes un discours binaire : ce sont les musulmans contre le reste du monde et, quand certains d’entre eux partent pour la Syrie, ils se retrouvent à combattre contre d’autres musulmans, ils découvrent une réalité qu’ils ignoraient…

Y a-t-il jamais eu un  » vivre ensemble  » en Belgique ?

Deux éléments d’abord. Un : que des individus souhaitent vivre des libertés, tant qu’elles ne sont pas violentes, est légitime dans une démocratie. Deux : il existe de grands problèmes liés, chez nous, à une ségrégation géographique trop forte. Il ne faut pas les taire et il est légitime qu’un ras-le-bol s’exprime au sein de la population belge : celle-ci en a assez de voir se poser des questions de société toujours et d’abord sous un angle islamique. C’est audible ! Toutefois, d’autres pays, où la société est moins divisée et plus homogène, à l’image des Pays-Bas, de la Suède ou du Danemark, connaissent les mêmes problèmes de radicalisme. Toutes les démocraties sont attaquées.

On entend remettre en cause la loyauté des musulmans envers la Belgique. D’aucuns affirment que si Salah Abdeslam a pu se cacher quatre mois au coeur de la capitale, c’est parce qu’il aurait bénéficié du soutien d’amis et de complices membres de la communauté musulmane.

Les Belges musulmans doivent dire plus fort à quel point ils sont solidaires de ce qui arrive chez nous. Ils ne peuvent pas se contenter de dire que les attentats, ce n’est pas l’islam, que le terrorisme et l’islam radical, cela ne les concerne pas. Cela les concerne directement parce que leur pays, la Belgique, est concerné, parce qu’ils sont citoyens de ce pays. Malheureusement, je crains que l’on vive l’effet inverse, surtout à Bruxelles.

Salah Abdeslam est-il idéalisé chez les jeunes musulmans ?

Oui, sans doute passe-t-il pour une icône chez des jeunes en rupture identitaire et en recherche d’un modèle négatif. C’est de l’ordre du film Scarface : la violence n’est pas seulement un moyen, c’est une fin. Il n’y a aucune démarche religieuse chez Salah Abdeslam. Mais il s’agit là d’un phénomène limité à une catégorie d’âge, et cela ne touche pas la majorité des jeunes ni les musulmans plus âgés. Vous ne trouverez pas un seul leader religieux pour soutenir Salah Abdeslam, même parmi les plus radicaux. D’ailleurs, pour moi, à la lumière de la chronologie des événements – de l’enterrement de Brahim Abdeslam, le frère de Salah, aux attentats à Bruxelles -, je pense qu’en ce mardi noir s’est joué la fin de partie de ce réseau. C’est la fuite en avant d’une cellule qui compte 30, peut-être 40 personnes sur quelque 100 000 musulmans.

Mais n’existe-il pas d’autres réseaux, d’autres cellules ?

Je ne le pense pas. Ou alors cela voudra dire que des gens comme moi se sont trompés et qu’on est face à une hydre possédant plusieurs têtes et se montrant immortelle.

Entretien : Soraya Ghali

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