Les ambitions secrètes de BERNARD WESPHAEL

Membre d’Ecolo depuis 1980, Bernard Wesphael s’est construit une réputation d’éternel dissident. Isolé, le chef de groupe des verts au parlement wallon peut-il rebondir ? Quelles sont ses intentions ? Son départ du parti n’est plus exclu.

Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne.  » Bernard l’insoumis, le réfractaire, aurait pu faire sienne cette phrase du surréaliste wallon Achille Chavée. Tel Geronimo, il mène la guérilla contre les puissants, y compris ceux de son parti. Quitte à entrer seul en résistance. Sa dernière embuscade : une interview à La Libre Belgique, le 3 mai. S’érigeant en porte-drapeau de la liberté parlementaire et de la neutralité de l’Etat, il annonçait la création d’Ecologie et Laïcité,  » un courant de pensée « . On a hurlé, chez Ecolo. Et on s’est moqué. A la buvette du parlement wallon, les députés verts ont ironisé sur les déclinaisons infinies du concept : à quand Ecologie et sexualité, Ecologie et tabac, Ecologie et jogging ?

Plus de deux semaines après la sortie de l’OWNI (objet wesphaelien non identifié), les commentaires vénéneux pleuvent toujours, en  » off « , sur Bernard Wesphael et ses manières de chevalier blanc. Ceux qui s’expriment à visage découvert sont plus mesurés. Mais restent critiques.  » Bernard oblige presque chacun à choisir son camp, commente le député wallon Xavier Desgain. Moi, je suis athée, mais je ne me sens pas laïque non plus. Je ne vois pas pourquoi on devrait choisir son camp.  » La jeune sénatrice Zakia Khattabi, qui l’apprécie, se dit  » déçue  » :  » Il s’exprime comme s’il était détenteur d’une seule vérité laïque, alors qu’il n’en a jamais discuté avec nous. C’est insupportable. Et contre-productif. En soi, les thématiques qu’il soulève sont intéressantes. Moi aussi, je me revendique de la laïcité. Comme lui, je suis très surprise du poids de l’exécutif sur le parlement. Mais il a tout grillé en balançant ça en solo. Je lui en veux. « 

Aucun élu de premier plan n’a soutenu l’initiative de Bernard Wesphael. Même les parlementaires réputés proches de lui – ils sont rares – ne cachent pas un certain scepticisme.  » Bernard pose de bonnes questions, estime le député fédéral Eric Jadot. Lancer un débat sur la laïcité, c’est dans l’air du temps. Et s’interroger sur le rôle des parlementaires, c’est plutôt sain. La manière, par contre, était maladroite, car il a donné l’impression de créer une tendance au sein d’Ecolo. Et ça, cela n’a pas lieu d’être. Sinon, on va se retrouver avec un parti morcelé, comme les verts français.  » Un avis que rejoint la députée wallonne Veronica Cremasco :  » Les réflexions de Bernard sur la citoyenneté ne sont pas idiotes du tout. Si on les prend comme un petit électrochoc susceptible de réveiller le système nerveux, c’est positif. Mais je ne crois pas qu’on peut mener un bon débat citoyen en divisant et en cultivant une tendance. Le vrai débat, pour Ecolo, c’est : comment notre société peut-elle vivre harmonieusement, avec toutes ses facettes ? »

Rapports de force

Pour comprendre l’énigme Wesphael et ses tourments, il faut remonter à sa source. L’homme naît en 1958 dans la banlieue liégeoise. Il ne connaît guère son grand-père, mineur, mort à cinquante-trois ans de la silicose. Son père travaille au charbonnage de Chênée, puis devient fonctionnaire. Les Wesphael déménagent alors en Hesbaye, près de Waremme. Le jeune Bernard, dont l’enfance a été imprégnée par les fermetures d’usine et leur cortège de vies brisées, en a tiré une fêlure, un refus viscéral du monde comme il va. A 16 ans, il claque la porte du foyer familial. S’engage dans l’armée, pour survivre. Son expérience sous les drapeaux sera brève : après avoir goûté du cachot, il est renvoyé pour mutinerie et indiscipline. La rage au ventre, il part en vélo rejoindre une communauté dans les Cévennes. Il ne revient à Liège que de longs mois plus tard, pour travailler comme éducateur social.

Antinucléaire, antimilitariste, et plus globalement  » antisystème « , il adhère aux Amis de la Terre. En 1980, la galaxie écologiste se structure en parti politique, sous la houlette de Paul Lannoye et de José Daras. Bernard Wesphael accompagne le mouvement, non sans hésitation.  » J’ai beaucoup douté, confie-t-il. Se présenter aux élections avait-il un sens ? La voie parlementaire était-elle la bonne ? »

En 1987, Bernard Wesphael enlève son premier mandat, conseiller provincial. Réélu en 1991, il devient chef de groupe. Il ne fait, déjà, pas l’unanimité parmi ses collègues. Mais c’est lui qui s’impose. A la force du poignet, au rapport de force. Le schéma se reproduira souvent. Au cours de sa carrière, Bernard Wesphael a toujours progressé au prix d’âpres batailles politiques, jamais de façon  » naturelle « .  » Quand il analyse une situation, il raisonne instinctivement en termes de rapport des forces. C’est intégré en lui. C’est presque une notion de survie « , rapporte son ami Jean Thiel, conseiller communal Ecolo à Seraing et ancien député.

En 1999, il devient parlementaire wallon, après avoir conquis la tête de liste au détriment de Nicole Maréchal, députée sortante et ex-attachée parlementaire de José Daras. Aux élections régionales de 2004, José Daras et Thierry Detienne briguent la tête de liste à Liège. Stupeur ! Wesphael leur dame le pion. Les deux ex-ministres se retrouvent sans aucun mandat.

La suite est connue : Ecolo ne sauve que trois sièges, ceux de Marcel Cheron, Monika Dethier et Bernard Wesphael. Le trio de rescapés se livre à une sorte de Yalta, se répartissant sphères de compétence et terrains d’intervention. Wesphael se fait une spécialité de cogner dur contre les huiles socialistes. Il cible le clan Daerden. Rédige un petit livre assassin sur  » la dérive libérale  » d’Elio Di Rupo – l’ouvrage sommeille dans ses tiroirs, mais il n’est pas exclu qu’il en sorte un jour. En 2009, réélu, Bernard Wesphael devient chef du groupe Ecolo au parlement wallon.

Au fur et à mesure que sa notoriété s’accroît, son isolement grandit à l’intérieur d’Ecolo. Son comportement franc-tireur, toléré jusqu’alors ( » parce que c’est Bernard « ), exaspère de plus en plus. Une partie des députés wallons lui reprochent de ne pas assumer son rôle de chef de groupe. Mis sur la sellette, il met sa démission dans la balance et propose un vote de confiance, le vendredi 17 septembre 2010, lors d’une mise au vert dans une ferme de Gesves. S’il conserve finalement son titre de chef de groupe, des procédures alambiquées sont mises en place par le parti pour l’encadrer.

Faut-il en déduire qu’il existe un problème Wesphael chez Ecolo ?  » Wesphael, ce n’est pas le problème d’Ecolo, c’est le problème de Wesphael lui-même, répond Marcel Cheron, l’une des voix écologistes qui comptent. Bernard doit trouver la réponse dans Wesphael. A condition de le vouloir, la coexistence est tout à fait possible. Mais pas à n’importe quel prix. « 

 » Au fil des ans, Bernard est de plus en plus entré dans un registre où il veut apparaître comme le défenseur de la veuve et de l’orphelin, le porteur de la vérité et du combat authentique. C’est un peu agaçant, à la fin. Surtout qu’il ne contribue pas toujours aux échanges à l’intérieur du parti « , complète Muriel Gerkens, députée fédérale depuis 1999. Une impression largement partagée chez Ecolo.

Autre vétéran de l’écologie politique (il a adhéré en 1984), Xavier Desgain estime que Bernard Wesphael conserve une valeur ajoutée pour le parti, malgré les problèmes qu’il pose.  » Dans un groupe de rock, un bon batteur, c’est toujours utile. Et pour faire du bruit, Bernard possède un talent extraordinaire. Avec une pièce de 50 centimes, il fait un billet de 20 euros. Prenez le dossier du révisorat : sa sensibilité l’amène à réagir, et à force de faire monter les blancs en neige, de touiller, ça a pris de la consistance. « 

Entre la direction du parti et lui, le ressentiment a atteint de tels pics qu’on peut toutefois se demander combien de temps la situation sera tenable. L’intéressé admet d’ailleurs ne pas savoir s’il sera toujours chez Ecolo dans deux ou trois ans.  » Ce n’est pas certain. Peut-être ferai-je d’autres choix de vie. Mais je n’entends pas passer dans une autre formation, ceci pour casser le cou à un canard…  » Qu’est-ce qui pourrait, le cas échéant, le pousser à quitter les verts ?  » La remise en cause de notre culture du débat « , répond-il, un brin mystérieux, tout en précisant qu’il  » ne le redoute pas « .

Le président d’Ecolo, Jean-Michel Javaux, confie lui aussi son incertitude quant à l’avenir de Bernard Wesphael.  » Je distingue les carriéristes en quête de mandats, qui changent de parti juste avant ou juste après les élections, et les personnes sincères, qui connaissent une évolution de pensée ou qui souhaitent aller vers l’associatif. La vie politique fatigue… Je ne saurais pas vous dire où sera Bernard Wesphael dans trois ans. « 

Alors que certains rêvent de l’éjecter hors du parti, Jean-Michel Javaux a souvent ménagé, et même protégé Bernard Wesphael. Les deux hommes sont des émotifs, et s’ils ne se comprennent pas toujours, ils parlent le même langage, à fleur de peau.  » Jean-Michel est très patient avec Bernard, constate Marcel Cheron. J’espère qu’il ne l’est pas trop. Il ne faudrait pas que ça devienne de l’abus. « 

Vincent Decroly, Germain Dufour, Josy Dubié… : les trublions ont tous fini par quitter le navire. Des figures historiques comme Paul Lannoye et Martine Dardenne s’en sont aussi éloignées. Bernard Wesphael, lui, est resté. Mais, à force de le voir marcher sur la corde raide, la question se pose : a-t-il un avenir chez Ecolo ?  » Je n’envisage pas l’inverse, indique Xavier Desgain. Connaissant la machine Wesphael, je sais que, s’il partait, ce serait un déchirement immense.  » L’exemple de Mélenchon (lire encadré) le poussera-t-il à fonder un parti dissident ?  » Il en parle de temps en temps, commente Jean Thiel. Mais jamais sérieusement. Il ne le fera pas ! Je serais le cul par terre si ça arrivait. Il en souffrirait trop. Bernard est un enfant d’Ecolo. Entre les moments durs qu’il traverse chez Ecolo et la grande souffrance qui serait la sienne s’il quittait le parti, il n’y a pas à choisir.  »

Qui sait pourtant si, d’ici à quelques mois, cette énième crisette autour du cas Wesphael sera perçue comme une tempête dans un verre d’eau ? Ou comme l’amorce d’une rupture ?

FRANÇOIS BRABANT

 » La cohabitation avec Bernard Wesphael ? Pas à n’importe quel prix « , avertit Marcel Cheron, l’une des voix les plus influentes d’Ecolo » Pour faire du bruit, Bernard possède un talent extraordinaire.  » (Xavier Desgain, député wallon)

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