Il n'existe aucun traitement pour faire disparaître totalement les acouphènes. © getty images

Les acouphènes, de plus en plus répandus: quand le bruit ne disparaît jamais

Les acouphènes, ces bourdonnements ou sifflements persistants que seuls ceux qui en souffrent entendent, touchent toujours davantage de personnes, avec une influence certaine sur leur quotidien. Il est d’autant plus essentiel de les prévenir qu’à ce jour on ne peut les guérir.

D’ici à 2050, un quart de la population mondiale souffrira de problèmes auditifs, avertit l’OMS. Parmi ceux-ci, les acouphènes, qui touchent déjà près d’une personne sur cinq. Un bruit parasite dont les effets sont souvent sous-estimés mais qui peut s’avérer invivable au quotidien. Hélas, on ne parvient pas toujours à les prévenir. Encore moins à les guérir.

Bien audibles par ceux qui les subissent, ces étranges sons qui s’invitent dans leurs oreilles ne sont pas produits par leur environnement. C’est le cerveau qui les crée. Qu’ils se manifestent sous forme de sifflements aigus ou de bourdonnements, ils peuvent réellement affecter le bien-être des personnes atteintes.

Les origines des acouphènes sont multiples, de l’hyperacousie, qui se caractérise par une plus grande sensibilité au bruit, à une série de maladies touchant l’oreille interne, mais «leur première cause reste la perte auditive», pointe le docteur Marc Vander Ghinst, ORL à l’hôpital Erasme, à Bruxelles. «Le cerveau auditif fonctionne alors comme un amplificateur, en essayant d’augmenter les sons qu’il perçoit parce qu’il les juge insuffisants. Chez les acouphéniques, le syndrome d’amplification est tel que le cerveau s’allume tout seul. Le patient perçoit un son qui n’a pas d’origine physique extérieure.»

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Les acouphènes ont toujours existé. Et cette baisse de l’audition survient régulièrement l’âge avançant. Mais aujourd’hui, de plus en plus de jeunes sont touchés, à la suite d’une surconsommation auditive. Pour le spécialiste, les salles de concert et les casques et écouteurs ne sont pas pour rien dans ce phénomène, «associé depuis quinze à vingt ans déjà à la pratique ludique d’exposition sonore».

Ces perceptions intempestives surviennent souvent de manière sporadique, mais doivent toujours être considérées comme un appel du corps à plus de précautions. Elles peuvent en effet devenir constantes. Hugues, 57 ans, se souvient des concerts de hard rock de sa jeunesse, qui lui laissaient les jours suivants d’importants acouphènes qui finissaient par disparaître. Aujourd’hui, cela fait plus de dix ans qu’il entend un bruit continu : «Le sifflement est permanent. C’est comme un appareil en tension, que de temps en temps j’entends davantage.»

Fatigué d’entendre

Les acouphènes varient d’un patient à l’autre, et leur ressenti est subjectif, tant en ce qui concerne le bruit perçu que la gêne occasionnée. Quand son incidence est récurrente, les premiers effets délétères sur la santé sont cependant toujours identiques : «Une des principales plaintes des patients souffrant d’acouphènes est l’impact sur leur sommeil, parce qu’ils sont davantage perceptibles dans le silence et augmentent avec la fatigue. Par conséquent, le moment où l’on se couche, où tout est calme, est souvent celui où on les entend le plus», poursuit Marc Vander Ghinst.

Hugues s’est accommodé de ce bruit qui l’accompagne en permanence: «Sur une échelle de 10, la gêne va de 1 à 3. Ça provoque surtout un agacement, mais ça n’a pas plus de conséquences que ça sur mon sommeil. Pour m’endormir, ça m’apaise presque, comme une petite musique sur laquelle je peux me caler.» Un vécu bien différent de celui de Sémy, 27 ans. Atteint d’hyperacousie et du syndrome de Ménière, qui se traduit notamment par des vertiges et une perte d’audition, il souffre de bourdonnements dans les oreilles depuis maintenant sept ans. «Le silence, je ne l’ai plus. Jamais. Il y a eu un paroxysme cet été, où je ne pouvais même plus dormir. Ça ne m’ était jamais arrivé, normalement le bruit ambiant couvre mes acouphènes.» Au-delà de l’insomnie provoquée par ce signal entêtant, la situation provoque chez lui un véritable sentiment de panique: «Cette angoisse qui monte, on ne peut pas la comprendre tant qu’on ne l’a pas vécue. C’est une impression de ne pas être seul dans sa tête, et qu’on ne pourra jamais se détacher de ce bruit.»

Le sifflement est permanent. C’est comme un appareil en tension, que de temps en temps j’entends davantage.

En effet, les personnes touchées peuvent subir des effets très différents. Quand, chez certains, les acouphènes se mettent parfois en veille, chez d’autres, ils persistent, voire se multiplient et s’aggravent. «On estime que 3% de la population souffrent d’acouphènes incommodants qui les limitent dans certaines activités quotidiennes ou professionnelles, indique le docteur Vander Ghinst. En fonction de l’intensité perçue, ils peuvent aller jusqu’à altérer des activités comme la lecture ou des échanges avec des collègues ou des proches, parce qu’ils sont parfois tellement intenses que même la communication s’en trouve détériorée.»

Acouphènes: faire le deuil du silence

Du simple agacement aux symptômes plus handicapants, les acouphènes ne se soignent pas : «Malheureusement, il n’existe pas de traitement miracle, hormis dans certains cas bien précis. Si nous n’avons pas la possibilité de les faire disparaître, nous pouvons en revanche diminuer la gêne qu’ils occasionnent ou en modérer la perception», poursuit l’ORL.

Dans la majorité des situations, c’est-à-dire celles liées à une baisse de l’audition, le symptôme acouphénique sera réduit en compensant la perte auditive. Ça améliore les conditions de vie mais la disparition totale du bruit parasite reste peu courante. De plus, dans le cas de patients comme Sémy, qui entendent «trop», pas question de compenser une perte auditive. Depuis cinq ans, il est suivi de près pour tenter, avec son médecin, de trouver une solution à son handicap. Les scanners de contrôle, passés tous les six mois, montrent une courbe auditive qui ne cesse de grimper: «Il se trouve que j’entends de mieux en mieux au fil des années et donc j’ai de plus en plus d’acouphènes.» Une réalité qui l’oblige à s’adapter: «J’adore les concerts, j’adore la foule, mais j’ai très peur pour le bruit. Sans bouchons, je ne peux pas y aller, si je le fais, j’ai davantage d’acouphènes qui, peut-être, perdureront.»

© National

Une situation difficile à vivre pour Sémy, pour qui les médicaments n’ont pas eu de véritables effets. «Ma chirurgienne m’en prescrivait, on essayait d’hydrater mes oreilles, mais au bout de quatre ou cinq ans elle m’a dit “je ne peux plus rien faire”. Elle m’a redirigé vers quelqu’un pratiquant l’hypnose.»

La piste psychologique

L’hypnothérapie s’est avérée salvatrice pour le jeune homme, qui comprend aujourd’hui comment ses acouphènes peuvent être liées à son mental: «Avant, je pensais que c’était quelque chose de très concret. Or, c’est bien plus psychologique que ça. Quand j’ai des crises, c’est que je dois me recentrer, que je ne prends pas assez soin de moi.» Des propos corroborés par Hugues, qui affirme aussi entendre de manière plus lancinante ses sifflements dans les périodes sous tension. Aujourd’hui, Sémy s’attache à aborder ses acouphènes avec plus de résilience, à reconnaître leur présence et à vivre avec eux.

Pour le docteur Vander Ghinst, la piste psychologique n’est pas à éliminer dans le «traitement» des acouphènes: «La perception de l’intensité d’un son n’a pas vraiment de relation avec la gêne occasionnée. Certains patients sont extrêmement gênés par un bruit faible et d’autres tolèrent assez bien un bruit plus fort. Les patients qui ruminent et se focalisent sur leurs acouphènes sont nettement plus perturbés dans leur quotidien.»

Pour Sémy, la réalité des acouphènes manque encore cruellement de visibilité. Il s’attelle aujourd’hui à sensibiliser son entourage : «Le problème est invisible, donc on ne le comprend pas. J’ai déjà dit à mon compagnon “essaie de te promener avec un téléphone dans l’oreille qui fait du bruit en permanence, et tu commenceras à comprendre”. Le jour où ça ne part plus, des gens en arrivent à se suicider, tellement c’est obsédant.»

La prévention du problème des acouphènes relève à la fois des pouvoirs publics et de la responsabilité individuelle. Depuis 2018, en Région de Bruxelles-Capitale, l’arrêté «son amplifié» régule les niveaux sonores des différents types de lieux publics. Si les salles de spectacle et les boîtes de nuit peuvent continuer d’exposer ceux qui les fréquentent à plus de 95 dB, ces établissements doivent mettre à disposition des protections auditives et une zone de repos auditif, dans laquelle le niveau ne dépasse pas 85 dB. A partir de huit heures d’exposition à 80 dB, l’ouïe est en danger. S’il n’est pas question de cesser d’apprécier un concert ou de danser en club, protéger ses oreilles passe aussi par des pauses sonores, dont chaque individu a la responsabilité. Si l’intensité du bruit est supérieure, l’exposition doit être moins longue. A bon entendeur…

3% de la population souffrent d’acouphènes incommodants qui les limitent dans certaines activités quotidiennes ou professionnelles.

Retrouvez notre podcast « Les acouphènes, de plus en plus répandus: vivre avec un bruit permanent » sur les plateformes d’écoute et sur levif.be/podcasts et via ce lien.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire