Les 10 leçons d’un scrutin

Le Vlaamse Leeuw au Nord, l’Internationale au Sud. Au-delà de ce verdict limpide, les élections du 13 juin, annoncées comme décisives pour l’avenir de la Belgique, auront livré au moins dix enseignements. Décryptage.

1 Le PS ne connaît pas la crise

Un pays stable, des emplois durables. Le double slogan du PS – rassurant sur l’institutionnel, protecteur sur le socio-économique – a fait mouche. Pour porter son message, le parti a pu compter sur son armada habituelle : Di Rupo, Magnette, Onkelinx, Picqué, Demotte… Autant de figures populaires, qui ont visiblement inspiré confiance aux électeurs, soucieux de confier leur sort  » entre de bonnes mains  » en ces temps chamboulés. Frappé par une succession de scandales ces vingt dernières années (Agusta, La Carolo, Lizin, Happart, Donfut…), au pouvoir sans interruption depuis 1988, le PS a eu cent fois l’occasion d’être balayé. Il semble aujourd’hui insubmersible.

2 Un Etat,  » deux démocraties « , quatre réalités politiques

De Wever s’en est gaussé dès l’annonce des premiers résultats : les Belges vivent d’ores et déjà dans deux démocraties différentes. En Flandre, les trois partis de la droite nationaliste (N-VA, Vlaams Belang et Lijst Dedecker) totalisent 47 % des voix. La Belgique francophone reste, en revanche, vissée au centre-gauche. Mais une autre réalité apparaît : les électeurs wallons et bruxellois continuent de se comporter différemment. Voir par exemple le cas Maingain, star à Bruxelles, repoussoir en Wallonie. La Belgique germanophone semble elle aussi obéir à des logiques propres, à contre-courant du reste du pays. Dans les cantons de l’Est, le MR est devenu la première force politique à la faveur de ces élections. Autre curiosité locale : la percée de Vivant (5,2 % à Eupen et… 14,7 % à Saint-Vith !). De plus, 27 % des électeurs germanophones inscrits ont choisi soit de ne pas se rendre aux urnes, soit d’émettre un vote blanc ou nul, ce qui confirme un désintérêt grandissant pour la politique belge dans cette région.

3 Le MR sauvé et/ou plombé par le FDF

Hormis l’exception germanophone, le MR dégringole dans l’ensemble de la Région wallonne. Ses pertes sont en revanche limitées à Bruxelles, où il passe de 22,7 à 19,2 %. Cette demi-victoire, le MR la doit en grande partie au FDF. Avec 63 000 voix, Olivier Maingain réalise le meilleur score personnel, tous partis confondus, dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Sur les 5 députés du MR bruxellois, 3 appartiennent au FDF. Le radicalisme assumé de la formation amarante a manifestement convaincu de nombreux habitants de la capitale et de sa périphérie. Mais il a aussi effarouché une partie des électeurs wallons, estiment plusieurs candidats libéraux, qui accusent Olivier Maingain d’avoir causé leur perte.

4 Ecolo et CDH, loin derrière

C’est une maigre consolation pour le MR. Avec 18 sièges, le parti de Didier Reynders conserve une avance confortable sur le CDH (9 sièges) et Ecolo (8 sièges). Joëlle Milquet et Jean-Michel Javaux ont déployé des trésors de rhétorique pour se donner des airs de vainqueurs. En réalité, ni les verts ni les oranges n’ont de quoi pavoiser. Avec un peu plus de 13 % des voix francophones, le CDH se retrouve à un niveau encore inférieur au résultat du PSC en 1999, pourtant historiquement bas (16 %). Seul le Luxembourg rural échappe à cette inexorable érosion. Quant à Ecolo, il est en recul par rapport aux régionales de l’année passée, mais aussi par rapport aux législatives de 2007. Un slogan incompréhensible ( » Ouvert pendant les transformations « ). Une coprésidente, Sarah Turine, qui n’a de la fonction que le titre. Et un second coprésident dont les multiples confessions intimes ont sans doute brouillé le message écologiste. En quelques semaines, Jean-Michel Javaux aura ainsi évoqué son pèlerinage à Lourdes (dans Le Soir), l’émotion de ses enfants quand ils entendent la Brabançonne (dans La Libre), les  » petites crèmes  » qu’il affectionne au lit avec son amoureuse (dans Télémoustique) et ses nuits en caleçon (dans La Dernière Heure). Autant d’ingrédients pour une soupe à la grimace verte.

5 L’Open VLD explosé par sa propre grenade

Les libéraux flamands de l’Open VLD ont pris la responsabilité de faire chuter le gouvernement fédéral et de provoquer ces élections anticipées. Les citoyens ne les en ont pas remerciés. A peine 13 % des néerlandophones ont donné leur voix au parti d’Alexander De Croo.

6 Modrikamen réussit son pari

Mischaël Modrikamen, l’avocat des petits actionnaires de Fortis, et son compère Rudy Aernoudt n’ont pas raté leur entrée dans l’arène électorale. Le Parti populaire obtient un député en Brabant wallon, Laurent Louis (lire en page 36). Sur l’ensemble de la Belgique francophone, 4 % des électeurs ont appuyé la  » droite décomplexée « . A l’extrême gauche, le PTB (dernier parti national et bilingue) réalise quelques percées dans les bassins industriels : 9,8 % à Herstal, 7,5 % à Assenede, 7,2 % à Seraing, 4,3 à Genk, 4,1 % à Anvers, 3,6 % à La Louvière…

7 L’ancien et le nouveau PS

 » Alain a joué, Alain a perdu.  » Par cette sentence lâchée avec la morgue d’un parrain napolitain, sur les ondes de la RTBF, Michel Daerden a déterré la hache de guerre au sein du PS liégeois. Qu’Alain Mathot lui ait ravi la tête de liste, l’ex-ministre des Pensions ne semble pas l’avoir digéré. Du coup, il s’est empressé de clamer qu’il devançait le jeune bourgmestre de Seraing au petit jeu des voix de préférence. Plus positif : le raz de marée du PS va favoriser l’émergence d’une nouvelle génération en son sein. Parmi les jeunes parlementaires à suivre, épinglons Özlem Özen, Anthony Dufrane, Isabelle Emmery, Fabienne Winckel et Hassan Bousetta.

8 Lijst Dedecker : la fin du parcours ?

En 2007, le parti fondé par l’ex-judoka Jean-Marie Dedecker avait créé la surprise en franchissant la barre fatidique des 5 %. Lors des régionales de 2009, la formation ultralibérale et flamingante engrangeait un nouveau succès, envoyant 8 députés au parlement flamand. Le soufflé est vite retombé… Ce 13 juin, la LDD n’a pu sauver qu’un seul siège du naufrage, celui de Jean-Marie Dedecker. De quoi donner raison au politologue Kris Deschouwer qui prophétisait, dès 2007, la disparition de la LDD dans les quatre ans à venir ?

9 Une Flandre à la recherche de l’homme providentiel

Alors que le paysage politique wallon paraît immuable, la carte électorale flamande vit un perpétuel chamboulement. En 1999, Guy Verhofstadt tapissait la Flandre en bleu. En 2003, Steve Stevaert emmenait les socialistes vers des hauteurs himalayennes, près de 25 %. En 2007, Yves Leterme raflait 800 000 voix de préférence. En 2009, Jean-Marie Dedecker affolait les sondages, et se posait comme le x-factor de la campagne électorale. Qu’en reste-t-il ? La Lijst Dedecker est moribonde. Leterme s’est retiré sur ses terres westflandriennes, après avoir rendu son tablier de Premier ministre un tel nombre de fois qu’on en a perdu le compte. Stevaert, l’ex-patron de café limbourgeois, a quitté la politique, tandis que le SP.A vient d’enregistrer le pire résultat de toute son histoire (15 %). Verhofstadt s’est exilé au Parlement européen, et l’Open VLD accumule les bérézinas électorales. De Wever, la nouvelle idole flamande, parviendra-t-il à pérenniser son succès ?

10 L’extrême droite défaite

Exit le Front national. Le parti ne compte plus un seul élu au Parlement fédéral. A l’exception de Charleroi, où elle pèse encore près de 5 %, l’extrême droite devient insignifiante partout en Wallonie. En Flandre, le Vlaams Belang reflue lui aussi. De ses 17 sièges à la Chambre, il n’en conserve que 12.

FRANçOIS BRABANT

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