Lepper le populiste

Cette élection n’est qu’une étape pour le plus virulent des antieuropéens, qui séduit les paysans et les perdants de la transition

De notre envoyé spécial

Il admire Casimir le Grand, le roi bâtisseur, et le maréchal Pilsudski û un socialiste devenu dictateur au début du xxe siècle. Il s’est vanté d’avoir lu Goebbels, le grand communicateur,  » comme d’autres hommes politiques polonais « , s’est livré à l’éloge des grands travaux lancés par Hitler û  » un criminel de guerre « , rappelle-t-il quand même û  » qui ont sorti l’Allemagne de la crise, sur le modèle du New Deal de Roosevelt « , a menacé de demander l’asile à Loukachenko, l’ultime tyran d’Europe, en Biélorussie. Mais, quand Le Vif/L’Express lui demande de qui il est le plus proche sur la scène européenne, la réponse fuse û inattendue :  » les Verts français.  » Et de citer José Bové,  » avec lequel nous échangions des lettres de soutien quand nous étions, chacun de notre côté, en prison « .

Les deux hommes ont en commun, au moins, une formation analogue, le syndicalisme agricole. Ils ne reculent pas devant la violence et partagent le sens de la mise en scène. Andrzej Lepper l’éleveur, ancien directeur d’une ferme d’Etat à l’ère communiste û il avait la carte du Poup, l’ex-Parti communiste û s’est fait connaître en prenant la tête de jacqueries dans les années 1990. La Pologne, à cette époque, est frappée par l’hyperinflation et les paysans surendettés refusent de rembourser leurs crédits. En 1993, il est celui qui donne le signal de la révolte en s’en prenant à un fonctionnaire venu lui signifier un retard de paiement û celui-ci est déshabillé, bastonné, trempé dans l’eau glacée. Ce n’est qu’un début. Avec ses troupes, issues du monde rural, Lepper déverse des tombereaux de fumier devant le ministère de l’Agriculture, du grain sur les voies ferrées, envoie les tracteurs bloquer les routes et la frontière avec l’Allemagne. Samoobrona û Autodéfense û son syndicat, est converti en parti politique pour les élections législatives de 2001, où il obtient, à la surprise de beaucoup, 53 des 460 sièges de la Diète, avec 10,2 % des suffrages. Ce qui fournit à son chef une immunité le mettant à l’abri des poursuites judiciaires dont il est l’objet. Aujourd’hui, il entend bien aller plus loin. Les sondages de popularité le placent au deuxième rang, derrière l’actuel président de la République. Et son mouvement, encouragé au départ par le SLD (social-démocrate, ex-communiste), devrait progresser lors du scrutin européen. En attendant les élections générales û le vrai test û rendues nécessaires, dans les prochains mois, par l’actuelle crise parlementaire, sur fond de scandales et corruption. Lepper et les siens moissonnent l’ivraie de la transformacja, la transition démocratique et capitaliste.

Au siège du parti, sous une déclaration murale de Jean-Paul II ( » Il est inadmissible qu’après la chute du communisme la seule alternative soit le capitalisme « ), relooké par un conseiller en communication, bronzage UV et cravate club aux couleurs nationales, le chef livre sa vision de l’Europe. Observateur auprès du Parlement de Strasbourg, ces derniers mois, avant l’entrée de la Pologne dans l’Union, le 1er mai, il en a déduit,  » effrayé par la bureaucratie « , que  » ce Parlement n’avait aucun pouvoir « . Même si Lepper a voté contre l’adhésion à l’Union, plutôt que d’en sortir, il affirme, patelin, que s’il arrivait au pouvoir il préférerait  » renégocier les conditions désastreuses de l’entrée  » :  » Les Polonais ont été trompés, les quotas de production laitière sont défavorables ; cette année, le pays va payer plus qu’il ne va recevoir.  » Sur un plan strictement comptable, compte tenu des retards des programmes, c’est peut-être possible pour 2004. Mais la Pologne touchera bien, dans le bilan de l’exercice, 1,5 milliard d’euros en solde net.

Ce  » maquignon-nationalisme  » trouve un écho au sein d’un électorat rural inquiet pour sa survie face à la concurrence européenne et, désormais, auprès des travailleurs non qualifiés, premières victimes du chômage (20 % de la population active).  » C’est un parti protestataire qui recrute chez les électeurs peu éduqués et à faibles revenus, auprès desquels il attise la nostalgie de la protection sociale de l’ancien régime, analyse Edmund Wnuk-Lipinski, professeur de sociologie au Collegium Civitas. Lepper est un populiste dans le sens où il veut arriver au pouvoir sans partage mais sans exercer de responsabilités dans une coalition.  »

L’effondrement de la gauche

Par sa vision enjolivée de la période communiste et ses contacts à l’Est û le mois dernier avec des ultranationalistes russes à Moscou, où, jure-t-il, il n’a parlé que d’économie û Andrzej Lepper inquiète la Pologne urbaine, qui regarde vers l’Ouest.  » Nous sommes le rempart contre les barbares « , a dramatisé Jan Rokita, le dirigeant de la Plate-forme civique, le parti libéral-conservateur, bien placé, après l’effondrement de la gauche, pour remporter les prochaines élections.

 » Ce qui manque à la Pologne, c’est une discipline à visage humain « , avance Lepper, après avoir naguère promis d’être, au pouvoir,  » un dictateur mais un bon dictateur « . Et de citer en modèle de cette discipline, ô surprise ! la Franceà Lepper promet de  » mettre en ordre la Pologne comme [il] le fait avec [sa] ferme « . Ses électeurs apprécieront la comparaison et la leçon : les veaux doivent être bien rangés dans l’étable.

Jean-Michel Demetz, avec Bernard Osser

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