L’enfance de l’art selon Besson

Une farce de René Morax, une comédie de Théodore de Banville et, entre les deux, le metteur en scène Benno Besson. Le plaisir du jeu, au théâtre de Namur

Gringoire et Les Quatre Doigts et le pouce… , au théâtre royal de Namur, jusqu’au 12 juin. Tél. : 081 22 60 26.

Le théâtre de Namur et celui de Vidy-Lausanne ont tissé ensemble de belles rencontres, et celle de Benno Besson n’est pas la moindre. Le voici de retour dans la capitale wallonne avec deux pièces peu connues et inattendues : une comédie  » médiévale  » de Théodore de Banville, Gringoire (1866), et une pochade de René Morax, Les Quatre Doigts et le pouce ou la main criminelle (1901).  » Un caprice, pour le plaisir « , confie ce géant suisse qui est une histoire du théâtre à lui tout seul : il fut l’un des premiers piliers du Berliner Ensemble de Bertolt Brecht, puis directeur à Berlin du Deutsche Theater et de la Volksbühne, avant de retrouver le jeu en langue française dès 1974 et de prendre les rênes de la comédie de Genève en 1982.

Comment ne pas être captif de ce regard bleu, de cette tignasse blanche, de ces gros sourcils en broussaille et de ce sourire coquin et enfantin de cet homme de 82 ans ! Lui qui monta de mémorables classiques revient aujourd’hui à des émotions d’adolescence.  » Gringoire, inspiré du poète famélique et rebelle du Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, je l’avais aimé à l’école, à Yverdon, explique le metteur en scène. Et je chiale encore quand je le vois ! Morax, c’est autre chose : quand j’ai lu à mes camarades de classe cette farce dans la farce, je n’en pouvais plus de rire !  » Nostalgie ?  » Je voulais surtout m’interroger sur mon double attachement à ces £uvres, mais je n’ai pas de réponse. Tout simplement, je m’amuse et je vois que les gens s’amusent… Là-bas, dans le canton de Vaux, cette pièce, écrite pour des amateurs qui montent une pièce tragique pour les notables du village, fait partie du patrimoine. L’accent vaudois y est de mise, et j’étais heureux de me replonger dans cet accent si mal vu des Français, comme celui des Belges d’ailleurs !  » Et Benno Besson de fulminer contre  » l’absolutisme français qui continue de sévir « . Selon le metteur en scène, en revanche, Théodore de Banville, passé à la trappe aujourd’hui alors que les Parnassiens, Mallarmé et Baudelaire en faisaient une figure de proue, dit pas mal de préoccupations contemporaines sur les rapports entre riches et pauvres, sur les sexes, sur l’art en résistance politique…

Benno Besson parle de son théâtre en termes simples, autour d’une idée forte :  » Si on ne met pas en jeu la réalité vivante, avec sérieux, il ne se passe rien. Le théâtre n’est pas du faux, c’est du jeu. La parodie, l’ironie, non, mais l’interrogation sur la véracité des choses sur scène, oui. Il y a des expériences d’enfance qui marquent une vie, comme ce magicien dans un cirque de mon village, qui promet un tour nouveau : nous faire disparaître tous. Les lumières se sont éteintes et les gens sont partis. Moi, je suis resté et le magicien m’a dit :  » Qu’est-ce que tu veux ? » « J’attends que vous me fassiez disparaître « , ai-je répondu. Et j’attends encore…  »

Benno Besson sait conduire ses acteurs comme nul autre, ludique, toujours : un Gilles Privat, époustouflant, avec sa voix grave, légèrement nasillarde, sa stature gauche, son sérieux absolu dans les moments les plus drôles de la farce de Morax où il campe une baronne, ou Roger Gendly, d’une vivacité roublarde dans le rôle de Louis XI ( Gringoire) ; et ces deux monstres de la scène mènent une troupe solide. Dans l’ombre de Besson se profile son scénographe Jean-Marc Stehlé, qui a conçu pour Gringoire une enluminure naïve médiévale, entièrement peinte sur toile en trompe l’£il, tandis que chaque élément de cette imagerie se redistribue en morceaux pour Les Quatre Doigts et le pouce… , avec une vision de taille, éblouissante : la pyramide des spectateurs (de toile, de bois, individualisés) ! La dynamique des deux £uvres repose essentiellement sur ces acteurs magnifiques dans l’écrin de Stehlé. La patte de Besson se fait, elle, très discrète, presque en retrait. Mais le plaisir de ce théâtre populaire garde intacte sa saveur.

Michèle Friche

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