L’effet contraire ?

Y a-t-il trop de campagnes alimentaires ? Dans un pays où 23,5% des femmes et 37,6 % des hommes sont en surpoids, l’obésité affectant 11 % de la population, on serait tenté de dire  » jamais assez ! « . D’autant que les enfants, à raison d’un sur cinq, sont déjà concernés par ce phénomène, si étroitement lié aux maladies cardiovasculaires, au diabète, au cancer et même à la stérilité qu’il est devenu, selon Catherine Fonck, ministre de la Santé de la Communauté française (CDH),  » le meilleur indicateur de la santé des Belges « .

Contradiction

Les campagnes de promotion de l’alimentation saine peuvent- elles suffire, ou même contribuer à inverser cette tendance? D’après la dernière enquête de consommation alimentaire en Belgique, 15 % seulement de la population respecte les recommandations nutritionnelles dans la composition de leurs menus. Le Dr Yves Simon, spécialiste des troubles alimentaires au Domaine ULB Erasme, ne s’en étonne pas :  » Ces campagnes nous demandent de manger avec notre tête, alors que le fait de s’alimenter met en £uvre des mécanismes physiologiques, développés à une époque où la nourriture était moins disponible et les besoins en calories plus élevés.  » Des mécanismes qui n’ont pas encore eu le temps de s’adapter à notre siècle d’abondance et de sédentarité, mais qui réagissent indirectement à la publicité.  » Les messages publicitaires nous incitent surtout à la consommation d’aliments gras et sucrés, souligne Yves Simon. Et, dans le même temps, d’autres messages publicitaires nous confrontent à des standards de poids et de silhouette inaccessibles à la majorité de la population, souvent incompatibles avec la santé, mais associés à des « valeurs » de beauté, de force et de performance.  » Si les premiers nous aident à prendre du poids, les seconds nous encouragent à  » faire régime « . Mais, aussitôt, nos mécanismes ancestraux réagissent en augmentant notre appétit, et nous nous remettons à manger trop, parfois jusqu’à la perte de contrôle.

 » Pour mettre fin à cette cacophonie, il faudra sans doute imposer des balises à la publicité, admet Catherine Fonck. En France, depuis mars 2007, les publicités de l’industrie agroalimentaire sont accompagnées de messages sanitaires. C’est un bon moyen d’apprendre aux téléspectateurs, enfants et adultes, à porter un regard critique sur la publicité.  » Mais l’Association des diététiciens de langue française (ADLF) n’est pas de cet avis : pour elle, ces messages, pourtant simples,  » ne sont pas toujours facilement compréhensibles par le grand public « . L’évaluation réalisée récemment par le ministère français de la Santé le prouve :  » Interrogés sur des publicités précises, comme, par exemple, un yaourt aux fruits avec le message  » Pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par jour « , 44 % des téléspectateurs pensent – à tort – que ce yaourt fournit une portion de fruits !  »

Aux campagnes nutritionnelles, certains spécialistes reprochent aussi d’entraîner une médicalisation de l’alimentation.  » On ne mange plus pour le plaisir, ni même simplement pour se nourrir, mais pour se soigner, remarque le Pr René Patesson, psychosociologue et directeur du Creatic (2). Au lieu de réduire les troubles des conduites alimentaires, la multiplication des discours diététiques et de santé – mangez contre le cancer, l’infarctus, Alzheimer – les aggrave, en particulier chez les jeunes.  » Une constatation confirmée par Yves Simon :  » A force de  » taper sur le clou « , on crée chez beaucoup de jeunes sans problèmes pondéraux la peur de prendre du poids, ou même d’avoir un poids normal. « 

Quant aux enfants mis au régime par des parents bien intentionnés, ils courent d’autant plus de risques d’être obèses ou en surpoids à l’adolescence. Faut-il donc renoncer à la  » promotion des attitudes saines « , chère aux autorités sanitaires ?  » Selon moi, les campagnes actuelles pèchent par manque de précision, remarque le Pr Patesson. Répéter aux gens  » Ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé « , c’est trop vague : on suscite l’inquiétude sans donner de solutions pratiques. Mieux vaudrait des campagnes ciblées sur certains aspects spécifiques de l’alimentation – les acides gras trans, par exemple -, comme il s’en organise actuellement aux Etats-Unis. Par ailleurs, les facteurs sociaux sont insuffisamment pris en compte, alors que l’enquête réalisée par le Creatic en 2006 en a révélé toute l’importance. Elle n’a montré aucune différence statistiquement significative entre la Flandre et la Wallonie, mais, quelle que soit la région, c’est dans les milieux les plus modestes qu’on mange le plus mal, les personnes défavorisées ayant tendance à privilégier les aliments énergétiquement rentables, sans se préoccuper de savoir s’ils sont sains. C’est dire si les messages nutritionnels grand public leur passent au-dessus de la tête ! « 

500 000 kilos

Selon le Pr Patesson, pour qu’une campagne nutritionnelle ait une chance d’être payante, il faudrait qu’elle se limite à une entité réduite – une ville, par exemple – et que toutes les couches de la population et tous les intervenants, de l’administration aux parents, en passant par les écoles, les commerçants, les comités de quartier… y soient impliqués. Mais l’exemple un peu caricatural d’Oklahoma City (www.thiscityisgoingonadiet.com), dont les habitants se sont mis au régime, sous la direction de leur maire, afin de perdre… 500 000 kilos, est-il adaptable à l’Europe ? Des expériences intéressantes ont déjà été tentées dans certaines villes de France, par exemple le programme Epode (Ensemble prévenons l’obésité des enfants), repris en Belgique sous le nom de Viasano (www.viasano.be). Cette initiative, lancée à Mouscron et Hasselt, implique tous les acteurs locaux… Mais est-il bien normal qu’elle soit financée par les fonds privés de l’industrie agroalimentaire ? Alors, moins de slogans, plus d’action ? Catherine Fonck est d’accord sur le principe.  » Ainsi, nous proposons aux femmes qui fréquentent les consultations de l’ONE des formations montrant comment on peut cuisiner sainement pour toute une famille avec quelques euros par jour. L’objectif étant de combattre les clichés sur le prix de la santé.  » Tout en retrouvant un rapport normal aux aliments. Car, pour le Pr Patesson, c’est quand la nourriture cesse d’être un plaisir qu’elle devient un problème.

(1) www.mangerbouger.be

(2) Centre de recherches en ergonomie appliquée aux technologies de l’information et de la communication de l’ULB.

L’enquête sur les comportements et styles de vie associés à l’alimentation peut être téléchargée sur http://www.ulb.ac.be/soco/creatic

Marie-Françoise Dispa

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