Le voyageur immobile

Guy Gilsoul Journaliste

Voici cinq-cents ans naissait Gérard Mercator, le célèbre cartographe du XVIe siècle. Mais qui était vraiment celui qui en inventant le mot  » atlas  » voulait comprendre l’origine et l’histoire de la création ?

Quand, en 1512, à Rupelmonde, Emerentia Cremer donne naissance à son premier enfant, que sait-elle des hypothèses du savant polonais Nicolas Copernic selon lequel la Terre n’est pas immobile mais tourne autour du Soleil ? Que sait son cordonnier d’époux des nouvelles terres découvertes par-delà les mers ? Vingt ans plus tôt, Christophe Colomb avait débarqué en Amérique. Quelques années plus tard, le Portugais Cabral mettait pied à terre au Brésil alors que ses compatriotes s’aventuraient du côté de la Malaisie, de l’Indonésie et, bientôt, de la Chine et du Japon. Et ce n’était qu’un début.

Gérard Mercator avait 5 ans quand Luther publie les 95 thèses qui donnent naissance au protestantisme, et 10 ans quand Magellan termine le premier tour du monde. Mais l’enfant est doué et son grand oncle, prêtre auxiliaire d’une église proche de Rupelmonde, va s’occuper de son éducation. Il l’envoie auprès des Frères de la Vie commune de Bois-le-Duc (le pays de Jérôme Bosch, décédé en 1516). L’enseignement suit les préceptes humanistes d’Erasme qui recommande de développer une attitude personnelle à l’égard de la foi et de la religion. Cortes vient de conquérir le Mexique et Francesco Pizarro, le Pérou. Le jeune Mercator, lui, préfère les livres aux aventures. Il étudie la Bible ainsi que les textes antiques et les rudiments de la dialectique. On lui apprend la calligraphie et l’enluminure. Il sera savant. Ou artiste. A 18 ans, il entre à l’université de Louvain, approfondit ses connaissances de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique. Il se lance aussi dans l’arithmétique, la géométrie, la musique, l’astronomie. Mais, soudain, il décide de rejoindre la vie contemporaine afin de mieux comprendre le monde. Anvers en sera le cadre. Avec ses marchands, ses voyageurs audacieux et ses intellectuels qui ne le sont pas moins. S’il y approfondit ses connaissances en philosophie et en théologie, il ressent aussi le besoin de rejoindre les sciences exactes afin de confronter la tradition et le présent des découvertes sur le monde et l’Univers. C’est ainsi qu’il devient non pas cartographe (le terme n’est inventé qu’au XIXe siècle) mais cosmographe, et réalise, chez un maître de Louvain, sa première paire de globes. Le premier représente le ciel, le second la Terre. D’autres suivront alors que des recherches lui feront réaliser des instruments de mesure (astrolabes, sphères armillaires, cadrans solaires, boussoles, quadrants…). Sa première carte (de la Palestine) accompagnée de textes évoquant l’exode des Hébreux à travers le désert d’Egypte date de 1537. Il a 25 ans. Trois ans plus tard, il dessine une carte de Flandre. Sa réputation grandit. Ses recherches dans le domaine de la géométrie vont révolutionner la manière de mesurer les contours des terres.

On doit aussi à Mercator la détermination du pôle Nord magnétique ainsi que les premières représentations des routes maritimes à cap constant. Et comme il est doué comme dessinateur, il met au point un système d’écriture cursive qui améliore la lisibilité de ses cartes. Ce serait pourtant une erreur de limiter l’£uvre de Mercator aux seules cartes qui ont fait sa célébrité à Louvain et à Anvers (via l’imprimeur Plantin). Le titre de cosmographe qui accompagne sa signature a d’autres ambitions : il veut que son Atlas (en référence au savant légendaire du nord de l’Afrique) soit un exposé sur les origines et l’histoire de la création au regard de la science et des techniques de son temps. Il faut dire que, parmi ses amis humanistes, on pourrait citer le géographe Ortelius ainsi que Pierre Bruegel l’Ancien, lui-même presque voisin de l’anatomiste Vésale… Comme eux, il sera inquiété par le pouvoir catholique en place et même accusé d’hérésie, ce qui lui vaudra d’être inquiété par l’Inquisition et enfermé dans la prison de Rupelmonde durant quelques mois. Comme d’autres alors, il choisira l’exil. Pour lui et sa famille, en 1552, ce sera Duisburg. Il y poursuivra ses recherches et y dessinera jusqu’à sa mort, en 1594, son fameux Atlas, sive cosmographicae meditationes de fabrica mundi et fabricati figura, aujourd’hui conservé au département des cartes de la bibliothèque d’Etat de Berlin.

A lire Le Monde en cartes. Gérard Mercator et le premier atlas du monde. Ed. Fonds Mercator. Avec un texte de Thomas Horst et l’ensemble de l’Atlas en fac-similé.

GUY GILSOUL

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