Le vététiste

Le vélo était ringard. Le VTT en a fait, entre autres, un objet de frime (Ben quoi ? ça fait bien quand même à l’arrière ou sur le toit d’un 4 x 4 !). Ce raccourci, qui enjambe un quart de siècle, ne reflète évidemment pas la diversité des us et coutumes dans le royaume de la petite reine. Car, entre la bécane démodée et la mode dévoyée, il y a de la place pour une multitude de cyclistes plus ou moins convaincus dont les bikers sont certainement l’espèce la plus émergente de ces vingt dernières années. Ils sont des millions à avoir découvert le vélo tout-terrain, ce nouveau cheval de fer à la pointe de la technologie pour tracer dans les bois, se moquer des chemins rocailleux, déranger les sangliers et faire fuir les biches, traverser les ruisseaux sans se mouiller, se griser de la boue volante, dévaler les pentes mais aussi les grimper à la force du mollet, à bout de souffle et au seuil maximal des pulsations cardiaques. Ils en ont fait un sport, l’ont imposé aux Jeux olympiques ( pour la première fois à Atlanta, en 1996) tout en dépouillant û sauf en Flandre û le traditionnel cyclo-cross qui a l’inconvénient d’obliger l’athlète à porter le vélo sur des portions de parcours. Un vététiste pédale sans mettre pied à terre et, s’il est bien entraîné, il fait corps avec sa machine, même devant un obstacle encombrant. Face à un tronc d’arbre couché, il est un cavalier, son VTT, un vélo qui saute. Pardon : qui jumpe !

La monture joujou est un bijou technologique. Certains cadres magiques, légers et robustes, s’affichent à 3 000 euros. Ils sont dotés d’amortisseurs savamment étudiés, équipés de puissants freins (à disques quelquefois) ainsi que de dérailleurs  » déraillant  » peu et commandés aisément par une poignée tournante. Sans parler, bien sûr, des gros pneus à sculptures.

 » Pour un investissement unique, des centaines d’heures de plaisir pur et de sensations fortes dans la nature, sans autres frais « , jubile Stéphan Thelen, qui a préféré la pratique du VTT au motocross.  » C’est le sport-loisir idéal, enchaîne Denis, son pote : en semaine, tu prends ton vélo pour faire une sortie quand cela t’arrange en partant de chez soi. Le week-end, tu t’amuses en compagnie d’un groupe d’amis en découvrant de nouveaux horizons. Le pied !  »

Malgré un impressionnant nombre de kilomètres parcourus annuellement, ces passionnés n’ont pas envie, pour autant, de passer au stade de la compétition. Les rassemblements du dimanche (un peu comme les  » points verts  » de l’Adeps pour les marcheurs), organisés souvent par des clubs dits libres en dehors de toute coupole, réunissent, tous additionnés, quelque 3 000 mordus. Ils suffisent au bonheur de ces trentenaires. Typique, sans doute, d’un phénomène de société, d’un style de vie répandu parmi les cadres formant une clientèle choyée par beaucoup de stations huppées qui font du tourisme vert leur cheval de bataille en offrant de beaux circuits balisés. Curieusement, les ancêtres des vététistes actuels sont les hippies aux cheveux longs, car c’est dans leur mouvance, libertaire et aux effluves artificiels, qu’est né il y a un quart de siècle le mountain bike, sport fun qui a vu ces échevelés dévaler les collines de Californie sur de vieilles machines retapées.

Si, aujourd’hui, les modèles, même personnalisables, sont industriels, et la discipline, olympique, s’il y a un tour de France VTT, un championnat mondial, une coupe de Belgique et, bien sûr, des bikers professionnels, le sport de compétition ne décolle pas vraiment. Les pratiquants belges ne sont pas plus de 600 à être affiliés aux deux fédérations linguistiques héritières de l’ancienne Ligue vélocipédique unitaire. Et nous n’avons que 3 pros ( contre 135 coureurs cyclistes sous licence belge). Le nombre de randonneurs est donc difficile à évaluer. Mais, sur les 400 000 vélos annuels vendus sur le territoire, quelque 60 % seraient des VTT. Il est vrai que les engins dits polyvalents (les VTC, comme citybike, plus confortables et munis de garde-boue et d’un éclairage) utilisés pour les petits déplacements quotidiens font partie du lot, l’industrie ayant largement  » récupéré  » les prouesses technologiques au profit de la bicyclette de l’utilisateur lambda. L’économie belge, si l’on excepte quelques assembleurs, a toutefois raté le vélo en marche.

Pierre Schöffers

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