Le système esclavagiste

(1) Voir Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le calvaire de Canaan, PUF, 292 pages.

(2) La Modernité de l’esclavage û Essai sur la servitude au c£ur du capitalisme, La Découverte, 296 pages.

Quand, en l’an de grâce 1420, les Portugais s’établissent à Madère et aux Açores, ils inaugurent, dans la discrétion, quelque chose de neuf dans l’Histoire : installer dans les îles un groupe d’individus chargés d’exploiter les richesses locales au moyen de la main-d’£uvre indigène peu coûteuse. C’est cette ébauche de colonisation moderne qui, un peu plus tard, sert de modèle à la Conquête. Mais la brutalité génocidaire au Nouveau Monde videra à ce point, de leurs natifs, les premiers archipels abordés par les caravelles, qu’il faudra, dans l’urgence, recourir à une force de travail importée. Ainsi se met en place, la traite transatlantique qui enverra, des siècles durant, d’Afrique en Amérique, entre 11 et 15 millions de Noirs û le  » bois d’ébène  » û asservis dans une violence indicible…

L’esclavage n’est pas une nouveauté : il est alors connu depuis l’Antiquité. A la chute de l’Empire romain, il est pratiqué dans tout l’Ancien Monde. Le servage s’y est substitué dans une partie de l’Europe occidentale au cours du Moyen Age. Mais, ailleurs, il fait partie du paysage quotidien depuis si longtemps et, en Méditerranée, les populations de l’Afrique subsaharienne y occupent une place à ce point visible que, au xvie siècle, leur asservissement s’impose naturellement. Cette accoutumance est même telle que les nations chrétiennes û Anglais, Français, Hollandais û où la servitude a disparu depuis le xiiie siècle vont rapidement faire de l’approvisionnement de leurs territoires d’Outre-mer en esclaves un impératif de politique nationale, leur Etat créant, pour ce faire, des compagnies à monopole et édictant des réglementations pointillistes comme le Code noir français de 1685 (1).

Au xviie siècle, le système esclavagiste européen est ainsi parachevé. Le commerce triangulaire bat son plein : en Afrique, en échange de biens manufacturés, les négriers négocient des esclaves ; sur l’autre rive de l’océan, les colons les leur achètent contre des produits agricoles semi-finis û surtout du sucre û revendus très chers dans une Europe qui apprend le luxe et les plaisirs d’ici bas. En Amérique, les besognes les plus dures sont réservées aux Noirs. Leurs moyens d’existence sont insignifiants : les exploitations coloniales ne sont rentables qu’à ce prix. Dépendantes de leurs métropoles pour leur approvisionnement en esclaves comme pour leurs débouchés commerciaux, elles deviennent la périphérie d’une économie planétaire divisée, sur le modèle portugais de 1420, entre un centre dominant et une périphérie soumise à ses exigences, ses besoins, ses goûts et ses règles.

Dans son histoire de l’esclavage, qui relate par le menu les faits tragiques qui la jalonnent depuis l’Antiquité (2), Yves Benot s’attarde sur la traite atlantique. Il la regarde comme l’épine dorsale du système colonial de l’époque. Il montre ainsi que l’esclavagisme, s’il a épuisé l’Afrique, est largement à l’origine de la richesse de l’Europe actuelle : en Angleterre d’abord, en France, ensuite, les profits qu’il génère financent la révolution industrielle. L’exploitation servile de la main-d’£uvre s’inscrit ainsi à ce point au c£ur du capitalisme qu’il faut se demander avec l’auteur si, malgré les succès des abolitionnistes depuis les premières protestations anti-esclavagistes des dominicains vers 1510, le phénomène est éradiqué. Pire : si, dans la phase actuelle de mondialisation et d’allongement des chaînes de sous-traitance qui la caractérise, le travail forcé ne cherche pas le moyen de sa renaissance…

Jean Sloover

La traite atlantique aux origines du capitalisme européen ?

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