Le spectre des huissiers

Nicole ne mange pas tous les jours, elle mange quand elle peut. Ses maigres revenus servent d’abord à nourrir ses enfants. Et c’est tout juste.

Elle avait 7 ans quand les huissiers sont entrés dans la maison pour emporter tous les meubles de ses parents. Sans doute s’était-elle juré, dans sa tête d’enfant, que cela n’arriverait plus jamais. Ils sont revenus frapper à sa porte. Adulte alors, mariée et mère de trois enfants, elle ne disposait pourtant de presque rien : deux chaises et des matelas posés sur le sol, pour les petits.  » Vous voyez bien qu’il n’y a rien à prendre à ces gens, ont dit les policiers qui accompagnaient les huissiers. Laissez-les tranquilles.  » Nicole, 39 ans, a ainsi conservé le peu qu’elle avait.

 » Pour nous, tout a basculé à la naissance du troisième enfant, explique-t-elle. Notre bébé, allergique, devait être nourri avec un lait particulier qui coûtait 20 euros la boîte. Il lui en fallait cinq par mois.  » Ces 100 euros étaient de trop. Avec une allocation du CPAS de 967 euros, augmentée des allocations familiales, Nicole n’en sort plus. Charges, lait, langes et remboursement d’une dette ancienne une fois déduits, il lui reste quelque 250 euros par mois pour nourrir une famille de quatre personnes, dont deux enfants de 14 ans et 18 mois (l’aînée ayant entre-temps pris son envol).  » A choisir entre payer les langes et l’électricité, je choisis les premiers. Mes enfants passent avant tout. On arrive tout juste à les nourrir, précise Nicole. S’il y a des restes, nous mangeons. Sinon pas. On boit du café, avec beaucoup de sucre dedans. « 

Depuis un an, l’eau froide a été coupée dans le logement qu’occupent Nicole et sa famille. Seule leur reste l’eau chaude, comprise dans le loyer. Chez eux, il n’y a pas de machine à laver. L’eau du bain est récupérée pour alimenter la chasse des toilettes. Depuis février, la puissance de leur compteur électrique a été limitée à 6 ampères.

La précarité comme un patrimoine génétique… Les parents de Nicole vivent aujourd’hui en caravane. Enceinte à 18 ans, Nicole a été renvoyée de l’école qui l’accueillait. Elle n’a pu terminer la formation de cuisinière qu’elle avait entamée. Sa fille aînée, âgée de 20 ans, est déjà maman d’un petit bout de 2 ans. Elle aussi dépend de l’aide financière du CPAS. Le mari de Nicole ne trouve pas de travail. Nicole a essayé d’en décrocher un.  » Mais dès que je suis privée de mes enfants, je tombe malade. Le médecin dit que j’ai des problèmes psychologiques. Il a estimé que je ne serais jamais capable de travailler. « 

La vie, dans ce contexte, est une lutte de chaque minute. Ses emplettes, Nicole les effectue à l’épicerie sociale de la commune, à l’Aldi ou chez Colruyt.  » Je prends tout ce qu’il y a de moins cher « , dit-elle. Dont les 48 litres d’eau (froide) que la famille consomme chaque semaine pour les biberons et le café. A Noël et aux anniversaires, point de cadeaux. Comment les paierait-elle ? Pas de vacances non plus, ni de petit plongeon dans la piscine.  » Parfois, mon fils n’ose pas aller à l’école parce qu’il n’est pas habillé comme les autres, raconte Nicole. Quand l’école demande en urgence que l’on achète un livre pour les cours, il nous est impossible de le payer. C’est bien simple : parfois, on n’a plus rien, le 15 du mois. « 

Comment survit-on, alors ? En quémandant une boite de biscuits par ici, des pâtes par là…  » Je suis fatiguée, soupire Nicole. Tout repose sur mes épaules. Je ne le peux pas, mais par moments, je laisserais bien tout tomber… « 

L.V.R.

 » on arrive tout juste à nourrir nos enfants « 

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