LE SILENCE DES GROS SABOTS

John Irving décrit ça joliment dans La quatrième main. L’un des personnages de son roman, publié il y a plusieurs années maintenant, est réveillé par  » le bruit de quelqu’un qui cherche à ne pas faire de bruit « . Un craquement d’articulation, un froissement de tissu, un soupir du plancher… Imperceptibles, en pleine journée, avec l’agitation de la vie. Mais très distincts, dans le silence de la nuit. Surtout que, si quelqu’un cherche à se déplacer si discrètement, c’est louche. On n’efface pas ses traces quand on n’a rien à se reprocher. On ne gravit pas cet escalier, marche après marche, sur la pointe des pieds, en priant pour que le bois ne grince pas, si on n’est pas censé s’y trouver. Et donc, ces tentatives pour se rendre indécelable finissent par équivaloir à un vacarme assourdissant. Qui tire soudain le dormeur de son sommeil.

On imagine fort bien la scène, avec le gouvernement fédéral dans le rôle de celui qui essaie de passer en douce. Mais dont les efforts pour y parvenir sont tellement puissants que c’est toute la maison, la Belgique en l’occurrence, qui s’éveille en sursaut. Moins pour crier, en allumant d’un coup la lampe de chevet,  » Qui est là ?  » que pour murmurer, en restant dans le noir ou non,  » On fait moins le malin, maintenant !  »

C’est le grand enseignement, après un an et demi de gouvernance MR – N-VA, comme le résument les plus farouches opposants à la coalition dirigée par Charles Michel : quand on démarre la rage au ventre, tonitruant que désormais tout va être révolutionné, dans l’intérêt de tous, avec des méthodes de pros, applaudissez-nous s’il vous plaît, nous le méritons comme jamais personne d’autre, parce que quel courage quand même, quelle lucidité, quel savoir-faire, on a intérêt à ne pas se faire repérer si l’affaire tourne au fiasco. C’est le cas, aujourd’hui, pour ce gouvernement. Or, quoi que puisse en dire l’opposition, ce n’est pas tant le fait de devoir trouver tant ou tant de milliards qui est un problème : les prédécesseurs de la suédoise ont tous, tous, dû passer par le même exercice, et plutôt deux fois qu’une. Les recettes moins élevées que prévu, les dépenses plus importantes qu’imaginé, l’inévitable poids d’un contexte inattendu : tous les exécutifs fédéraux de ces dernières décennies ont connu ces difficultés.

Mais ils ne s’étaient pas autant, et si fort, présentés en sauveurs. En précurseurs. En plus que parfaits. Et n’avaient pas bénéficié d’un tel enchaînement de circonstances extérieures dramatiques mais finalement favorables à l’exercice du pouvoir. Une aubaine pour une coalition divisée de l’intérieur, affaiblie par la perte de crédibilité de plusieurs de ses membres, n’ayant la plupart du temps que prolongé ce qui avait été décidé ou dessiné avant elle ou pouvant se permettre, vu le succès actuel, un peu partout, des idées simplistes, des propos venimeux et des solutions à la hussarde.

C’est ce qui explique l’avalanche de critiques ensevelissant le gouvernement, ces jours-ci, avec les couacs budgétaires mis au jour. Charles Michel, Bart De Wever et leurs troupes ont beau s’efforcer de la jouer profil bas, pour l’instant, puisqu’il s’avère qu’ils n’ont en réalité aucune leçon à donner à qui que ce soit, leur débandade est aussi bruyante qu’un tambour qui bat la retraite sur un champ de bataille.

Les vrais vainqueurs étant, une fois encore, ceux qui ont l’habitude de hurler. Contre tout. Les prochaines élections, chez nous aussi, devraient hélas en être l’illustration.

de Thierry Fiorilli

 » La débandade gouvernementale est aussi bruyante qu’un tambour qui bat la retraite sur un champ de bataille  »

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