Le sable et la boue

Coïncidence: le Paris-Dakar se terminait alors que s’ouvrait, à Bruxelles, le Salon de l’auto consacré, entre autres, aux véhicules de loisirs. Une double occasion de rappeler les heurs et malheurs d’un sport souvent décrié, qui persiste en Belgique malgré l’adversité

Au début de chaque année civile, depuis 25 ans, il revient aux mécaniques les plus sophistiquées et les plus bruyantes de rappeler au reste du monde, par reportages télévisés interposés, à quel point l’Afrique septentrionale, en toile de fond du prestigieux Rallye Dakar, reste belle, multiple et méconnue. Traversée du nord au sud par d’incongrus bolides, elle dévoile ainsi, outre ses couleurs insoupçonnées, des roches surprenantes, de vastes étendues plombées de soleil, et des pièges redoutables. « Il faut tenir, répétait le participant belge Van Den Broek, à la veille de la 17e et dernière étape du Rallye 2003, pour pouvoir dire qu’on a fini le Dakar. »

Car les défis sportifs du raid le plus ambitieux du monde justifient largement son succès, même si les questions humanitaires, posées dès sa création, en 1978, ne doivent pas être balayées pour autant. « Tenir » malgré la chaleur, le sable, la hauteur des dunes; maintenir sa mécanique en état de marche, malgré les défaillances, les chocs, les accidents; débusquer les dangers malgré la fatigue, les frustrations, l’appât de la victoire. Autant de leitmotive pour les 437 concurrents (dont 80% d’amateurs) qui ont quitté Marseille le 1er janvier dernier à moto, en voiture ou au volant d’un camion. A l’arrivée, ils n’étaient plus que 186 (98 motards, 61 automobilistes et 27 camionneurs).

Particularité de l’édition 2003: les vainqueurs des trois catégories sont des « récidivistes ». Le pilote japonais Hiroshi Masuoka a remporté, sur le fil, une deuxième victoire consécutive au volant d’une voiture Mitsubishi, au même titre que le Russe Vladimir Tchaguine, dans la catégorie des poids lourds, tandis que Richard Sainct gagnait la course moto pour la troisième fois de sa carrière. Des vieux de la vieille, en quelque sorte, qui se félicitent encore d’avoir atteint le bout de cette longue traversée d’un désert, dont ils ont pourtant savouré chaque minute. Parmi les Belges, l’histoire du sport rallye se souviendra de Stéphane Henrard, qui a terminé la course voiture en sixième position, faisant briller un peu du soleil du rallye sur nos contrées.

« Escapisme »

Pour les constructeurs de voitures dites de loisirs, conviés à la 81e édition du Salon de l’auto de Bruxelles, l’occasion d’exposer les vertus de leurs véhicules d’aventure tombe à pic. Dans des décors évoquant souvent, même de loin, le désert, la vie nomade et la nature vierge, ils font la part belle à ces gros véhicules carrés, parés pour tous les types de routes, même celles qui n’en méritent pas le nom. « L’escapisme est dans l’air », résume d’ailleurs, par un superbe anglicisme, Philippe Robbrecht, responsable du marketing chez Land Rover.

Pourtant, à en croire les négociants spécialisés dans ces véhicules, 99% des acheteurs n’en utilisent jamais le potentiel « tout terrain »: propulsion sur les 4 roues, limiteur de patinage, rehausse de l’amortissement et autres différentiels restent inusités par ces pseudo-aventuriers, plus préoccupés de caser famille et matériel de loisirs à l’intérieur d’un seul véhicule ou, il faut bien le reconnaître, désireux d’impressionner la galerie. « La période des baroudeurs, assoiffés d’aventures, boussole en main, est bel et bien révolue, déclare Gerrit Seys, responsable du Jeep Club Belgium. De nos jours, les propriétaires de ce genre de voiture recherchent avant tout le confort d’un véhicule puissant, à usage multiple. »

Tous? Non. En Belgique, une cinquantaine de clubs (dont 22 militaires) rassemblent des « quatrequatreurs » purs et durs, soucieux d’utiliser de temps en temps tout le potentiel de leur imposant bijou. Leur plaisir: parcourir des itinéraires cahoteux, au coeur de la nature, en allant « aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire ». Leurs territoires: les trois circuits du pays aménagés dans ce but, les chemins agricoles ou régionaux, des parcours dessinés au prix de longues démarches pour obtenir les autorisations requises. Leurs performances: un contrôle absolu de la vitesse, le maintien du véhicule en mouvement, la résistance à l’inconfort et la force déployée çà et là pour tirer le véhicule d’une mauvaise passe. Pas de récompense dorée ni de palmarès: le championnat belge 4 x 4 s’est éteint en 1996, suite à la publication du décret Lutgen interdisant notamment à ces véhicules de rouler sur les chemins forestiers sous peine de fortes amendes.

Loin de se laisser décourager par de tels obstacles, mais quelque peu blessés dans leur fierté, les amateurs de conduite « off road » s’amusent donc à dénicher, aux quatre coins du pays, des parcours truffés de bosses et gorgés de pluie, qu’ils suivent de jour, à la queue leu leu, pour l’inconcevable plaisir de « tenir » et de partager l’illusion de vaincre l’adversité. « Nous roulons en convois de 10 véhicules, escortés de deux voitures de contrôle, pour nous assurer que personne ne s’égare sur des terrains interdits », explique encore Gerrit Seys. Les plus audacieux prennent part aux expéditions à l’étranger organisées par des clubs privés et souvent agrémentées de nuitées dans des hôtels de quatre ou cinq étoiles, ou d’autres activités aussi viriles que la visite d’une distillerie de whisky. Restent enfin les vrais baroudeurs, qui, en général, ne possèdent pas d’engin motorisé hors de prix. A eux de tenter le « G4 » de Land Rover, une compétition tout-terrain à laquelle participent 16 pays . Les candidats nationaux, sélectionnés au terme d’une série d’épreuves sportives ou intellectuelles, auront à relever de multiples défis le long d’un parcours à travers les plus beaux paysages de la planète (Canada, Australie, Afrique du Sud et côte ouest des Etats-Unis), en avril prochain.

Projeté dans l’aventure par les encouragements de ses proches, le jeune Anversois Roel Smolders, futur docteur en biologie et écologie, rejette d’une boutade les critiques des défenseurs de la nature plus puristes. « C’est une question d’équilibre. Combien de personnes pratiquent le ski sans scrupules, alors que les pistes et les remontées mécaniques endommagent aussi la nature environnante? « . Figurant parmi les 1 200 Belges (dont 7 femmes) à avoir montré un intérêt pour le G4, Roel affronte actuellement la dernière sélection en compagnie de son concurrent Rudi Thoelen. « Je le fais pour le plaisir, pas pour le prix », insiste-t-il. Même si, promis, il ne refusera pas la 4 x 4 offerte au gagnant.

Carline Taymans

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