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Le roman policier

Le Vif

Septante ans, paraît que ça se fête. Alors, pour l’occasion, Le Livre de Poche publie, pour la première fois en français, un roman policier écrit en 1934: La Mâchoire de Caïn. Il est signé Torquemada – premier grand inquisiteur espagnol –, le pseudonyme d’Edward Powys Mathers, poète et traducteur anglais. Un surnom qui n’a pas été choisi par hasard. L’homme, verbicruciste tortueux à The Observer, est surnommé l’enfant littéraire d’Agatha Christie et de James Joyce. Et pour cause, le polar, d’à peine cent pages rédigées à la première personne, dissimule six cadavres et six meurtriers. Mais les cent pages sont imprimées dans un ordre aléatoire. Elles doivent donc être découpées et réorganisées pour percer l’énigme. Tout est dans le livre-puzzle. Il n’y a évidemment qu’une solution possible, alors que la probabilité de les remettre en ordre relève de «1 suivi de 158 zéros», selon Hervé Le Tellier (prix Goncourt en 2021 avec L’Anomalie), qui préface La Mâchoire de Caïn. Des millions de possibilités… Comment dire? C’est beaucoup. C’est le nombre d’atomes présents dans l’univers portés au carré. Résultat: depuis sa sortie, en 1934, seules trois personnes ont officiellement réussi à résoudre l’enquête, deux en 1935, une en 2020. Cette dernière, le célèbre comédien et scénariste britannique John Finnemore, y a planché quatre mois, durant le premier confinement. Sans Internet, l’acteur estime que cela aurait été impossible. Les cent pages, d’ailleurs, comptent nombre de contrepèteries, de jeux de mots, de triples acrostiches, d’anagrammes. C’est daté et exige de la culture en kilos. Bon joueur, il livre quelques maigres indices: traquez en tout premier lieu les poèmes, écrits en italique. Ils seraient les éléments les plus faciles à assortir. Le défi a notamment excité une tiktokeuse américaine, Sarah Scannell. Transformer le mur de sa chambre en murder board («tableau de meurtres»), c’était le «rêve de sa vie». La vidéo, visionnée cinq millions de fois, a entraîné des milliers de lecteurs- enquêteurs. Ceux qui s’y essaient se transforment en véritables détectives, accrochent des fiches, des pages aux murs, passent les indices au fluo, annotent les pages du livre, les découpent… Au point, parfois, de se réveiller la nuit pour prendre des notes. Pour tirer la pelote, des groupes d’entraide se créent sur Facebook, des réunions d’enquête s’organisent, et les tiktokeurs partagent leurs réflexions et leurs indices. Il arrive aussi des abandons. Devant la difficulté, Sarah Scannell et bien d’autres renoncent à percer le mystère, jettent l’éponge. Mais qu’importe la solution, ce qui compte vraiment, c’est l’enquête.

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