Le roman du pétrole

Dans une Arabie qui n’est plus saoudite, islamistes iraniens, Chinois et Américains jouent avec le feu et avec l’or noir. Un scénario explosif imaginé par l’ex-responsable de l’antiterrorisme à la Maison-Blanche

Les Séoud ont fui. En Californie, avec leur argent. Ils ont été chassés de leur royaume et remplacés par une coalition hétéroclite de sunnites et de chiites qui ont fondé une république islamiste, l’Islamiyah. Autour d’un narguilé parfumé à la pomme, Abdallah, membre modéré de la Choura, le Parlement du nouvel Etat, et son frère Ahmed, médecin moderniste formé au Canada, devisent sous le ciel étoilé d’Arabie. Abdallah, soucieux d’installer la démocratie dans son pays, est inquiet : les extrémistes chiites, manipulés par Téhéran, ont décidé l’implantation, en plein désert d’Islamiyah, d’ogives nucléaires fournies par des Chinois avides de pomper ce pétrole que leur folle croissance exige.

A des milliers de kilomètres de là, à Washington, Russell MacIntyre, directeur adjoint du Centre d’analyse du renseignement de Foggy Bottom, installé sur une colline dominant le Potomac, s’alarme : l’un de ses agents vient de lui fournir la preuve que des messages cryptés ont été émis sur une fréquence réservée aux forces commandant les missiles stratégiques chinois, depuis un trou perdu au milieu des dunes de sable d’Islamiyah. Des Chinois en ex- Arabie saoudite ? L’Américain manque de s’étouffer. Pourtant, quelques minutes plus tard, le satellite Placeset confirme l’existence de 12 silos de missiles enterrés – sans aucun doute des CSS 27 chinois.

Au même moment, deux bombes explosent en plein c£ur de Manama, la capitale de Bahreïn. Brian Douglas, chef d’antenne du renseignement britannique, le SIS, échappe miraculeusement à l’un des attentats. Le carnage sera rapidement attribué aux terroristes de l’Islamiyah par le département d’Etat américain, sous la coupe d’une clique de néoconservateurs pressés de détruire le nouvel Etat islamiste, de rétablir la famille royale saoudienne sur son trône et de mettre la main sur son pétrole. Mais, à Londres comme à Washington, des officines mieux renseignées pointent comme responsables les chiites iraniens, réunis sous la bannière du groupe terroriste de la force Qods (Jérusalem), bras armé clandestin des Gardiens de la révolution iraniens. Au c£ur du désert, Abdallah, le leader pacifiste de la jeune Islamiyah, commente pour son frère Ahmed :  » Qu’ont donc en commun les Américains et les Persans pour s’imaginer intimider notre nation balbutiante ? La bombe de Hiroshima – la tueuse qui vitrifie le sable et empoisonne la terre pour des générations. Si nous résistons, ils carboniseront nos cités, incinéreront notre peuple et pourront ainsi se remettre à voler le pétrole sous nos pieds.  »

Depuis plus de trente ans qu’il navigue dans les eaux troubles du renseignement, du plus bas de l’échelle jusqu’aux sommets de Capitol Hill, Richard Clarke sait de quoi il parle. Entré au Pentagone en 1973, il poursuit sa carrière au département d’Etat sous les présidences de Reagan puis de Bush père. En mai 1998, il est nommé par Bill Clinton premier  » coordinateur national pour la sécurité, la protection des infrastructures et le contre- terrorisme « . Au lendemain de l’élection de Bush fils, il est reconduit à la Maison-Blanche, qu’il quitte, fin 2001, peu après l’attentat contre le World Trade Center, en raison de ses détestables relations avec Condoleezza Rice. Farouche opposant à l’intervention en Irak, Clarke réglera ses comptes avec les néoconservateurs – en particulier Dick Cheney, vice-président des Etats-Unis, et Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense – dans un essai au vitriol, Contre tous les ennemis. Au c£ur de la guerre américaine contre le terrorisme, best-seller vendu à plus de 600 000 exemplaires outre-Atlantique.

Science-fiction ou roman vérité ? C’est, en tout cas, un scénario éminemment plausible – et terrifiant – qu’imagine Richard Clarke. En même temps qu’une formidable leçon de lucidité géopolitique, La Porte du Scorpion se révèle un passionnant éclairage sur la violence des luttes de clans qui agitent l’administration américaine. l

La Porte du Scorpion, par Richard Clarke. Trad. de l’américain par Jean Bonnefoy. Albin Michel, 378 p.

Thierry Gandillot

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