En 1993, Fidel Castro légalisait l'usage du dollar. En 2003, il l'interdisait. Depuis le 20 juillet, la " vitamine verte " est la seule devise qui permet de se nourrir. © belgaimage

Le rêve brisé de la révolution sensuelle

Cuba est confrontée à une pénurie extrême. Les sanctions américaines et la crise du coronavirus, en privant l’île de touristes, anéantissent l’économie et affament les Cubains. Les autorités ouvrent des échoppes en dollars pour pallier le manque de devises.

Cela commence par une nouvelle torture, celle du dollar.  » Les Shoppys en pesos convertibles sont vides, mais, depuis peu, le gouvernement a ouvert d’autres magasins où il y a de tout, même du shampoing ! Tout s’y paie en dollars américains « , témoigne Yanelys, une mère de famille havanaise. Avant d’ajouter :  » Ceux qui ont des dollars peuvent se nourrir, les autres doivent trouver un autre moyen.  » Pour renflouer ses caisses de Vitamina Verde (vitamine verte, le dollar), le gouvernement cubain a ouvert, le 20 juillet dernier, des boutiques où la nourriture n’est payable qu’en billets verts. La Havane a parallèlement éliminé une taxe de change de 10 % sur le greenback. La recette n’est pas nouvelle. Au début de la terrible Période spéciale, en 1993, peu après la chute de l’ex-allié soviétique, Fidel Castro a légalisé l’usage du dollar dans l’île. Objectif ? Capter les devises qui dormaient sous les matelas.  » Auparavant, être pris avec des dollars menait en prison « , confie Nelson, un ancien policier. Puis, en 2003, le Lider Maximo a de nouveau interdit l’usage du billet vert et celui-ci a alors disparu des esprits.

Dans ce pays, les gens font des heures de queue pour acheter une boîte de jus de tomate.

 » Rendez-vous compte que dans ce pays, les gens font des heures de queue pour acheter une boîte de jus de tomate, s’insurge Yunier, médecin. Et c’est sans compter tous ceux qui partent au Panama ou au Guyana pour acheter des lots de shorts pour les revendre cinq fois le prix ici.  » Cuba prend le visage de la faim. Les Cubains souffrent, en silence. Une file de 200 personnes défie le temps devant une minisupérette d’Alamar, une immense banlieue industrieuse de l’est de la capitale. Certains attendent depuis trois heures, d’autres sont venus prendre leur tour dès hier. On parle du manque ou de la telenovela brésilienne de la veille, où des femmes d’affaires souriantes déambulent dans une ambiance d’opulence. Et si on commençait par un rhum ? Même à Cuba il n’y en a plus partout. C’est un signe.  » Aujourd’hui, il y a du jus de tomate et de l’huile « , remarque Yanet, une Havanaise venue de San Miguel del Padron, un quartier populeux, situé à une heure de trajet. Le petit commerce, gardé par trois policiers, manque de tout.  » Lorsqu’il y a du poulet, c’est rare, c’est l’émeute, confie une affamée. Et puis, la plupart du temps, les employés de la boutique l’ont revendu au noir. « 

Réduction de 75 % des importations alimentaires

Cuba importe plus des deux tiers de sa nourriture et aurait réduit de 75 % ses importations alimentaires. Si l’île produit des fruits et des légumes, le régime n’est jamais parvenu à mettre en place des porcheries ou des élevages de volaille. Pour le reste, les Cubains s’alimentent au marché noir où le dentifrice, d’ordinaire vendu un euro, s’échange désormais cinq. Et tout est à l’avenant.  » Je suis musicien. Comme il n’y a plus de touristes, je suis devenu éleveur de porcs. Il faut bien manger « , avoue Ramon, un autre Havanais. Car l’industrie touristique, deuxième ou troisième entrée de devises, selon les sources, avec bon an mal an trois milliards de dollars annuels, est à la peine depuis le début de la crise du coronavirus.

Entre janvier et mai 2020, Cuba n’a accueilli que 984 000 touristes, contre plus de 2,2 millions à la même époque en 2019. Il ne reste plus que quelques centaines de voyageurs, dont le visa a expiré, désormais illégaux et souvent oubliés de leurs missions diplomatiques. A l’exception des ambassades italienne, britannique, suisse, dont les diplomates se déplacent parfois dans les hôtels pour s’enquérir de leurs ressortissants.  » J’ai été confiné quatre mois à La Havane, totalement délaissé par mon ambassade « , déplore ce Français. Les entreprises, elles, tournent au ralenti. Si les chiffres sont toujours flous à Cuba, les autorités anticipent une chute de 8 % du PIB en 2020.

Le rêve brisé de la révolution sensuelle

L’île souffre d’une faible productivité, d’une image de mauvais payeur auprès des investisseurs et d’une dette extérieure de 18,2 milliards de dollars. Pour sortir de la crise, le régime socialiste a présenté à la mi-juillet un plan de relance, sans chiffres : attirer les investisseurs étrangers, créer de nouvelles zones spéciales, relancer les entreprises privées et publiques et capter des devises. Rien de neuf ! Les transferts d’argent des Cubano-Américains, indispensables pour financer le secteur privé, se sont réduits comme peau de chagrin depuis que Donald Trump multiplie les sanctions contre l’île. Le pétrole vénézuélien, sanctionné par Washington, n’entre plus qu’au compte-gouttes, provoquant périodiquement de longues files dans les stations essence.

Tentation de repli

Sur le front du communisme cubain, l’exportation de personnel de santé reste la principale composante de l’économie avec des revenus de huit à onze milliards de dollars par an. Sur ce point, la pandémie de coronavirus a été une opportunité. Une quarantaine de nations, dont l’Italie, le Mexique ou l’Afrique du Sud, ont demandé l’aide de La Havane pour lutter contre le Covid-19. La crise sanitaire dans l’île a été bien gérée avec, dès le début, le port obligatoire du masque dans les rues sous peine d’amende et de prison et la présence quotidienne dans les quartiers de personnel de santé pour détecter un virus, aujourd’hui quasi terrassé.

Et l’ami américain ?  » Si El Loco (NDLR : le fou, Donald Trump) repasse, nous sommes cuits « , lance Modesto, restaurateur au chômage. Dans une entrevue à la chaîne CBS à la fin avril, Joe Biden a confié son envie de renouer avec la politique menée par Barack Obama :  » Dans une grande partie, j’y reviendrai.  » Une stratégie qui a peu de chance de voir le jour rapidement. La Havane est consciente des risques qu’un rapprochement avec les Etats-Unis implique pour la survie du régime.  » L’ouverture avec les Etats-unis s’est faite en 2015 parce que les Cubains n’avaient pas le choix. Ils tendaient la main aux Américains depuis longtemps, pensant que ceux-ci n’accepteraient jamais un accord. L’ouverture a amené des touristes américains et une demande de liberté. Le régime ne fera pas deux fois la même erreur « , estime un diplomate, fin connaisseur de l’île. Le temps des ouvertures est terminé.

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