Le recteur de l’ULB sous pression

L’ULB est agitée par des groupuscules opposés au débat de son recteur avec Shimon Peres. Président du CCOJB, Maurice Sosnowski dénonce une discrimination et une atteinte à la liberté.

De passage à Bruxelles, le président de l’Etat d’Israël, Shimon Peres, 89 ans, a été reçu par toutes les huiles européennes, le Premier ministre et le Sénat où, en compagnie du prince Philippe et du ministre des Affaires étrangères, il a rendu hommage aux Justes qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont sauvé des Juifs persécutés par les nazis. On pouvait s’attendre à une certaine routine diplomatique. Raté ! En acceptant l’invitation des organisations juives de Belgique à débattre avec l’ancien prix Nobel de la paix (1994), le recteur de l’ULB a certainement pris un  » risque « . Irriter une fraction de son opinion publique, agitée notamment par le Comac, la branche étudiante du PTB (extrême gauche), qui l’a sommé d’annuler sa participation à une soirée académique considérée comme  » un soutien ouvert à la politique criminelle d’Israël « . Le recteur a maintenu sa décision de rencontrer, au Palais des Académies, Shimon Peres, docteur honoris causa de l’ULB. Président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB) et vice- président du Congrès juif européen, le Pr Maurice Sosnowski (Institut Bordet) a réagi, pour Le Vif/L’Express, aux remous suscités par l’  » affaire Viviers-Peres « , en exprimant l’inquiétude et le ras-le-bol qui gagnent à nouveau la communauté juive.

Le Vif/L’Express : Aviez-vous anticipé ce qui allait se passer en proposant au recteur de s’associer à un événement autour du président de l’Etat d’Israël ?

Maurice Sosnowski : Certainement pas. Le recteur l’aurait fait pour n’importe quel autre docteur honoris causa de l’ULB. Il avait même proposé d’organiser la rencontre à l’ULB, mais, pour des questions de disponibilité de locaux, nous nous sommes tournés vers le Palais des Académies où Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, a accepté d’autant plus facilement de nous recevoir que c’était lui qui avait fait Shimon Peres docteur honoris causa en 1987, lorsqu’il était recteur de l’ULB.

Ce qui est reproché à Shimon Peres est son supposé extrémisme et d’  » avoir du sang sur les mains « …

C’est ça qui est le plus grave et le plus irrationnel… En tant que président de l’Etat d’Israël, il ne joue plus un rôle politique très important, mais il a reçu le prix Nobel de la paix en 1994, avec Yasser Arafat et Itzhak Rabin, pour sa contribution aux Accords d’Oslo. Il a travaillé sans discontinuer à la paix avec les Palestiniens. Il n’y avait aucune raison politique de ne pas dialoguer avec lui. Ce qui nous inquiète, justement, c’est l’influence de petits groupes d’extrême gauche comme le PTB (Comac) ou le comité BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions), qui recommandent le boycott d’Israël, de ses produits, de ses dirigeants politiques, de ses artistes et de ses scientifiques… C’est là le gros problème. Ils n’autorisent pas notre recteur à dialoguer, même avec un docteur honoris causa de notre université, personnalité internationalement reconnue comme Shimon Peres et qui a montré à suffisance sa volonté de paix. Preuve que ces petits groupes prônent une discrimination sur la base de la nationalité, ce qui est interdit par la loi. Ils s’approprient la liberté d’expression pour la limiter à leur discours de haine. Inadmissible.

N’est-ce pas le symptôme d’un malaise récurrent à l’ULB dès qu’il y est question du conflit israélo-palestinien, de l’islam politique ou de l’antisémitisme ?

Encore une fois, il ne faut pas englober toute l’ULB dans des considérations qui ne concernent qu’une minorité de personnes sur le campus. L’université à laquelle je suis fier d’appartenir a comme symboles le libre examen, la liberté de pensée, la liberté d’expression. Chacun est libre de s’exprimer et de défendre ses idées. Mais, au-delà de la liberté d’expression, peut-être n’avons-nous pas été assez vigilants dans la défense de nos valeurs morales. La protestation que nous avons vécue à l’ULB relève de la discrimination et de l’atteinte à la liberté. Je ne rejette nullement sur l’ULB la responsabilité des troubles occasionnés par cette minorité agissante et très bien organisée, presque professionnelle, mais j’espère que la majorité silencieuse au sein de l’université va prendre position contre ces extrémistes qui bafouent l’esprit du libre examen. Selon mes informations, moins de cinquante étudiants ULBistes devaient participer à la manifestation de la place du Trône sur les 400 annoncés, les autres manifestants venant de la ville.

Comment la communauté juive de Belgique ressent-elle ces événements ?

Elle se sent très concernée par ces prises de position outrageantes pour le président de l’Etat d’Israël, sachant qu’aujourd’hui le mot  » sionisme  » est devenu dans la bouche de certains une insulte. Je rappelle que le sionisme est un mouvement de libération nationale d’origine socialiste. Il y a donc une solidarité certaine avec l’Etat d’Israël qui, avec ses qualités et ses défauts, n’est pas l’Etat criminel que l’on aime dépeindre. La communauté juive voit qu’au-delà de ces critiques, c’est à l’existence même de l’Etat d’Israël que l’on veut toucher, ce pays pas plus grand que la Wallonie et qui a des réalisations extraordinaires à son actif notamment en biotechnologie. Avec ce qui vient de se passer, j’ai l’impression que certains veulent nous ghettoïser, nous empêcher de débattre en public avec des non-Juifs. Le problème déborde du cadre de l’ULB. Ainsi la cérémonie à l’Académie des Beaux-Arts a suscité beaucoup d’intérêt au fur et à mesure que la polémique se développait, preuve que certains, y compris dans le monde politique, ont voulu exprimer une prise de position par leur simple présence.

L’ULB a reconnu le comité BDS local comme un cercle étudiant. Une marche arrière est-elle possible, selon vous ?

Le conseil d’administration a proposé de passer au crible, rétrospectivement, les gestes posés par l’ensemble des cercles étudiants. On verra ce qui ressortira de cet exercice. J’observe que l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, a soumis au vote de l’ensemble des étudiants et enseignants, la volonté d’un comité BDS local de couper les liens académiques, scientifiques et artistiques avec Israël. Les étudiants ont rejeté ce type d’action à plus de 70 % et les professeurs à une plus grande majorité encore.

ENTRETIEN : MARIE-CÉCILE ROYEN

 » Des petits groupes s’approprient la liberté d’expression pour la limiter à leur discours de haine  »

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