Le quitte ou doub le grec

La crise dans laquelle se débat Athènes constitue une épreuve de vérité pour l’Union et ses dirigeants. A eux de se montrer à la hauteur de cet enjeu historique et de trouver enfin une issue après des mois d’atermoiements et de divergences. Car s’ils échouent…

Le dieu de la Grèce est grand.  » Avant d’entamer une semaine cruciale pour l’avenir du pays, le ministre des Finances et nouvel homme fort du pays, Evangelos Venizelos, n’avait rien trouvé de mieux que de s’en remettre à la puissance divine. Le ciel s’annonçait il est vrai particulièrement chargé. Au programme : discussion parlementaire autour d’un nouveau plan d’austérité drastique, sous peine de voir gelée l’aide européenne. Dès mardi, grèves générales et manifestations étaient prévues par les syndicats, dans un pays rendu inflammable par l’ampleur des sacrifices imposés. Les Indignés, de leur côté, avaient planifié une chaîne humaine pour encercler le Parlement. Enfin, dimanche 3 juillet, les ministres des Finances européens se réuniront à Bruxelles afin de convenir, ou non, d’une nouvelle aide. Faute de quoi Athènes, plombée par une dette de 350 milliards d’euros, se trouvera dans l’incapacité d’assurer sa fin de mois. Littéralement. Une petite prière, à ce stade, n’était donc pas entièrement superflueà

Au-delà de la péninsule hellénique – moins de 5 % du PIB de la zone euro -, c’est le destin du Vieux Continent qui est en jeu. Pour surmonter cette nouvelle épreuve, il faudra que ses dirigeants se montrent, cette fois, à la hauteur de l’événement. A commencer par le couple franco-allemand, incapable depuis deux ans de trouver une issue pérenne à la crise. Tout avait pourtant plutôt bien commencé : dès février 2009, tandis que la tempête financière faisait rage, Peer Steinbrück, alors ministre des Finances allemand, annonçait que son pays viendrait à l’aide des Etats en difficulté. Rapidement, pourtant, l’ambiance se tend au sein de la zone euro.  » C’est durant cette période que presque tout le monde s’est mis d’accord pour jeter aux orties le Pacte de stabilité, se souvient Karine Berger, chef des études économiques d’Euler Hermes. Les Allemands ont eu l’impression que la crise était surtout un prétexte pour s’affranchir de la discipline budgétaire.  » Et renouer avec le laxisme honni. Un sentiment renforcé par la révélation, en octobre 2009, des tripatouillages comptables grecs, qui avaient conduit à masquer l’ampleur de son déficit budgétaire. A Berlin, l’entrée au gouvernement, à l’automne, des libéraux, plus rigoristes sur le plan économique, ne va faire que creuser le fossé qui sépare l’Allemagne de ses partenaires du sud de l’Europe.

Merkel incontournable

Dès lors, Angela Merkel multiplie les atermoiements : prise en tenailles entre son engagement européen et une opinion publique résolue à ne pas payer pour les  » pays du Club Med « , la chancelière se montre incapable de choisir. Elle enchaîne les déclarations contradictoires, et alimente ainsi la défiance des marchés. Côté français – à l’exception d’une sortie de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, qui avait déclaré que le modèle allemand n’était  » pas viable à long terme  » -, on se garde bien de critiquer de front l’ami allemand. D’abord, parce que Paris a conscience que Berlin est incontournable pour résoudre la crise. Ensuite, parce que la France a impérativement besoin de son partenaire pour faire avancer ses propositions en matière de régulation financière, face à des pays anglo-saxons plutôt réticents. Déjà se profile à l’horizon le G 20 français de 2011, crucial pour l’Elysée.

Au final, ce n’est qu’en mai 2010 qu’un plan de sauvetage européen est adopté. Alors qu’il n’avait fallu que huit jours pour organiser le sauvetage de l’Europe bancaire, près de huit mois se sont écoulés avant que les Européens ne parviennent à mettre en place un plan d’aide à la Grèce. Acculée par des taux d’intérêt qui ont grimpé au plafond, Athènes doit accepter en contrepartie un violent plan d’austérité, qui va contribuer à faire entrer le pays dans une spirale déflationniste.

Sur le fond, rien n’est réglé : les marchés continuent à douter de la solvabilité des Piigs (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne) et de la capacité de l’Europe à faire preuve d’une solidarité minimale. D’autant que Berlin déclenche à l’automne 2010 un nouveau débat, qui relance la cacophonie : quelle doit être la participation du secteur privé – principalement les banques – à l’aide aux pays en difficulté ? Une question légitime, mais prématurée, estime la Banque centrale européenne. Les marchés s’affolent à nouveau, inquiets de ces bisbilles et de l’éventualité que les créanciers ne soient pas intégralement remboursés. Ils s’attaquent à nouveaux aux maillons faibles de la zone : l’Irlande d’abord (en novembre 2010), le Portugal ensuite (en mai 2011) se trouvent contraints de tendre la sébile.

Finalement, Français et Allemands se mettent d’accord, le 17 juin dernier, pour que la participation des banques se fasse sur une base  » volontaire « . C’est un peu tard : depuis quelques semaines déjà, la Grèce tangue à nouveau. Il faut donc boucler les modalités d’une nouvelle aide et déterminer qui, en définitive, paiera. Faut-il faire un rollover (demander aux détenteurs d’obligations grecques d’en souscrire à nouveau lorsqu’elles arriveront à maturité) ? Les créanciers doivent-ils subir un haircut, c’est-à-dire une décote de la valeur de ces obligations ? Autant de questions sur lesquelles les dirigeants de la zone euro vont devoir se pencher lors de la réunion du 3 juillet. La France propose un plan qu’elle soumettra à ses partenaires (voir l’encadré).

Quoi qu’il en soit, on n’aura fait, au mieux, que repousser l’échéance. Reste à trouver pour la Grèce un modèle de croissance susceptible de sortir le pays de la spirale négative dans laquelle il s’enfonce chaque jour davantage. Reste aussi aux pays européens à faire un pas supplémentaire dans l’intégration économique.  » Les solutions proposées aujourd’hui sont des rustines, estime Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo Securities. Tant que l’on n’aura pas avancé vers davantage de coordination des politiques économiques et budgétaires, la zone euro demeurera déséquilibrée. « 

Ce pas vers le fédéralisme, les pays européens, à commencer par l’Allemagne, ne semblent cependant pas prêts à le franchir. Pas facile, en période de vaches maigres, de justifier de tels transferts de richesses. La Belgique a prévu une contribution initiale de 1 milliard d’euros, mais l’effort total pourrait atteindre les 3 milliards sur trois ans. En attendant, bien sûr, le remboursement, avec intérêts. Mais tout laisse à penser qu’Athènes sera dans l’incapacité de régler l’intégralité de son ardoise. Le prix à payer pourrait être encore plus grand, cependant, si on laisse enfler le sentiment antieuropéen au sein des  » maillons faibles « . La crise sociale, alors, risquerait de se transformer en irrémédiable crise politique. On n’en est plus très loin.

BENJAMIN MASSE-STAMBERGER

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