» Le populisme ? Une rébellion contre les politiques « 

Le légendaire conseiller du Premier ministre Tony Blair de 1997 à 2003 livre deux explications à la montée des populismes : l’impunité des responsables de la crise financière de 2008 et la perte de pouvoir des dirigeants.

Le Vif/L’Express : Comment les chaînes d’information continue et les réseaux sociaux, sur Internet, pèsent-ils sur l’exercice du pouvoir ?

Alastair Campbell : Ils transforment la perception que le grand public a de la réalité. Quand j’étais à Downing Street, je suis devenu un personnage controversé car les médias trouvaient cela plus intéressant pour eux. Un conseiller de l’ombre, c’est plus sexy que la politique de santé, l’état de l’économie, les relations avec l’Union européenne… Il est plus simple de raconter la vie politique de son pays par l’intermédiaire de personnages, plutôt que par l’évocation des enjeux. L’autre nouveauté, c’est l’exigence incessante de transparence. Dans l’un de ses livres, Aidan Crawley (NDLR : journaliste et homme politique dans les années 1950-1960) raconte des retrouvailles entre Churchill et de Gaulle, après la Seconde Guerre mondiale : l’un et l’autre se remémorent en souriant les fois où ils ont diffusé de fausses nouvelles, durant le conflit mondial, afin de confondre l’ennemi. Aujourd’hui, seuls Poutine et Xi Jinping pourraient en faire autant !

Vous-même avez été accusé d’avoir déformé des informations concernant la présence d’armes de destruction massive en Irak…

A l’issue de longs mois d’enquête, la commission Hutton a mis en lumière tous les efforts que nous avons déployés pour ne pas disséminer de fausses informations. De fait, nous pensions que de telles armes se trouvaient en Irak et nous avions tort. Mais nous n’avons pas cherché à manipuler la réalité.

Donald Trump, Marine Le Pen, Viktor Orban… Ce regain du populisme vous inquiète-t-il ?

Oui. La plupart des non-Américains sont stupéfaits par le succès de la campagne de Donald Trump. Au Royaume-Uni, la victoire de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste relève du même phénomène. C’est une rébellion contre les hommes et les femmes politiques, tels que ceux-ci sont perçus dans les médias et à travers les réseaux sociaux. Pour moi, ce phénomène est lié à la crise de 2007-2008. Dans le monde de la finance, parmi ceux qui ont provoqué ce désastre, un seul, me semble-t-il, est allé en prison. Or, des millions de personnes ont perdu leur emploi, des gouvernements sont tombés… Aujourd’hui, les victimes se vengent sur les politiques, puisque les vrais coupables sont hors d’atteinte. Voilà pourquoi le cas de Donald Trump est si incroyable. A mes yeux, il incarne le pire du capitalisme. Mais il se décrit comme le meilleur allié de l’électeur modeste, et ça marche ! En France, les Le Pen relèvent de la même supercherie. Le succès des populistes s’explique aussi par un phénomène plus général, que les dirigeants politiques n’aiment pas admettre : les chefs d’Etat et de gouvernement ont perdu de leur pouvoir. Voyez la France. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont gagné les élections en promettant le changement, voire la rupture. Mais les Français, qui les ont pourtant approuvés, résistent au changement ! Dans mon pays, j’entends parler de la construction d’une troisième piste à l’aéroport de Heathrow depuis 1998, mais le dossier n’avance pas. Pendant ce temps-là, les Chinois ont construit 82 aéroports.

Le Premier ministre britannique convoque un référendum, le 23 juin prochain, sur l’adhésion de Londres à l’Union européenne. Est-ce une erreur ?

David Cameron aime vivre dangereusement et il confond sans cesse la tactique et la stratégie ; le dossier européen en est le meilleur exemple. Il a pris cette initiative il y a trois ans, par tactique, afin de calmer les tensions à l’intérieur de son parti et dans l’espoir de juguler la popularité croissante des populistes de l’Ukip. C’est irresponsable ! Un éventuel retrait aurait des conséquences désastreuses et amènerait sans doute l’Ecosse, dans un second temps, à claquer la porte du Royaume-Uni ! Je pense qu’une majorité de Britanniques choisira de rester au sein de l’UE, mais je regrette que nous devions perdre autant de temps. A Londres, le travail du gouvernement est d’ores et déjà paralysé : tout le monde est mobilisé pour cette histoire ! En promettant un scrutin sur le Brexit, il y a trois ans, Cameron a voulu régler un dossier encombrant, sans trop se soucier des conséquences. Il a manifesté, à cette occasion, un sérieux manque de leadership.

Propos recueillis par Marc Epstein

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