Le poids croissant des allochtones

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Un parcours d’intégration pour qui ? Si l’on s’en réfère aux taux de participation aux prochaines élections communales, les communautés turque, marocaine ou congolaise font mieux que celles qui sont venues d’Italie, de France, d’Allemagne ou des Pays-Bas.

Les étrangers de Belgique ont jusqu’au 31 juillet pour s’inscrire comme électeurs aux prochaines communales. Ils ne se bousculent pas au portillon. En date du 9 juin, à peine plus de 100 000 personnes de nationalité étrangère avaient fait la démarche de s’inscrire auprès de leur administration communale, alors que la Belgique comptait à cette date 801 502 électeurs étrangers potentiels. Les Belges, eux, étaient au nombre de 7 837 906 inscrits d’office puisque le vote est obligatoire. Ces étrangers représentent donc un réservoir de voix considérables (9,28 % de toutes les personnes qui pourraient être admises à voter), mais ils ne seront sans doute qu’une minorité à exercer leur droit. Aux communales de 2006 par exemple, seuls 21 % des étrangers ressortissants des pays de l’Union européenne s’étaient inscrits, et 15,7 % des étrangers hors UE.

Les chiffres d’inscription pour 2012 sont donc faibles : 14,3 % des membres de l’UE et 5 % des ressortissants hors UE, soit 100 849 électeurs. Et encore, ce dernier chifffre comprend-il déjà les personnes qui s’étaient inscrites pour les élections de 2006 et qui ne doivent plus renouveler la démarche (mais tous les électeurs de 2006 ne résident plus en Belgique). La disparité entre les Régions est flagrante : à Bruxelles, le taux d’inscription est de 7,7 % (des 244 773 électeurs étrangers potentiels), en Flandre de 9,15 % (de 294 230) et en Wallonie de 21 % (de 262 499).

Les communautés

Mais ces chiffres ne traduisent pas la réalité, estime le sociologue Jan Hertogen. Les personnes de nationalité étrangère ne représentent en effet qu’une partie des différentes communautés, constituées majoritairement de Belges d’origine immigrée. Les enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants d’immigrés italiens, espagnols, turcs ou marocains n’ont en effet pas dû effectuer des tonnes de démarches pour acquérir la nationalité belge, s’ils le souhaitaient, même si la perspective, jadis, d’un service militaire belge a dissuadé plus d’un jeune homme. Selon ses propres calculs, ce sont 1,3 million de personnes, des Belges d’origine étrangère (1,1 million) et des allochtones (200 000 personnes selon un calcul très optimiste au vu des inscriptions actuelles), qui voteront aux prochaines élections communales. Des chiffres contestés par le cabinet de la ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet (CDH), pour laquelle les inscriptions d’étrangers ne dépasseront guère les 100 000 personnes, tandis que les naturalisés en âge de voter seraient au nombre de 841 640.

Jan Hertogen, un ancien du syndicat flamand NBC-NVK, l’équivalent de la CNE, la centrale des employés et cadres du syndicat chrétien, maintient pourtant son calcul. En se basant sur les chiffres officiels, précise-t-il, il établit à 1 million 125 784 le nombre de personnes d’origine étrangère naturalisées belges et leur descendance. Pour établir le nombre d’étrangers qui s’inscriront d’ici à la fin juillet, qu’il estime donc à 200 000, il part de la participation de 2006 (environ 125 000) et table sur une meilleure information des personnes pour y arriver. Selon ses chiffres, les votants étrangers ou d’origine étrangère, qui étaient 12,7 % du corps électoral en 2006, passeront à 16,7 % en 2012 et 20,4 % en 2018. Avec là aussi des différences régionales : ils seront cette année 9,8 % en Flandre et 18,1 % en Wallonie, pour 62,3 % en Région bruxelloise. Près de deux tiers des électeurs bruxellois seront, selon lui, des Belges d’origine étrangère ou des allochtones… La proportion se retrouve-t-elle sur les listes de candidats ? On a plutôt l’impression que chaque liste de parti pour à peu près chaque commune se cherche son candidat d’origine marocaine ou turque, sans plus de souci de représentativité.

Le passeport de l’électeur

Les Régions, organisatrices des élections communales, ont fait un effort pour conscientiser les personnes de nationalité étrangère à user de leur droit de vote. La Région wallonne a édité un  » Passeport de l’électeur 2012 « , la Région bruxelloise une brochure  » Je fais entendre ma voix « . Le ministre wallon des Pouvoirs locaux, Paul Furlan (PS), a annoncé son objectif d’augmenter la participation des électeurs étrangers de 2006 en Wallonie (28 % d’Européens, et 21 % de non-Européens). Mais ces opérations sont à la marge, estime Jan Hertogen.  » Toutes ces campagnes n’aboutissent pas à grand-chose, précise-t-il, car pour moi le non-vote (des étrangers) reste un acte de protestation. Une démocratie qui se respecte n’exclut pas ses habitants des droits fondamentaux qui fondent nos sociétés et les différencient des « autres » sociétés. « 

Pas de bourgmestre italien, pas d’élu japonais

Les étrangers européens n’ont en effet le droit de vote que depuis les élections de 2000. Ils peuvent également être élus conseillers, mais ne peuvent devenir échevins que depuis 2006, et en aucun cas bourgmestre, mandat réservé aux Belges de nationalité. Les étrangers extra-européens n’ont le droit de vote aux communales que depuis 2006, mais ne disposent pas du droit d’être élus ; ils ne peuvent voter pour les provinces ; ils doivent résider depuis plus de cinq ans en Belgique ; ils doivent s’engager formellement à  » respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « . Des restrictions jugées discriminatoires pour certains puisqu’elles ne sont pas appliquées à tous les électeurs.  » Si, en 1948, on avait assorti le droit de vote des femmes de ces procédures d’inscription, affirme Jan Hertogen, et si on l’avait limité au seul niveau communal, sans doute le taux d’inscription aurait-il été semblable à celui des étrangers aujourd’hui. « 

Ce qui est plus remarquable, selon lui et ses calculs, c’est qu’une proportion très importante des membres des communautés  » allochtones  » (comprenant donc les étrangers et les naturalisés) participera au vote. La communauté italienne, la plus importante avec 370 519 personnes de plus de 18 ans, compte 221 108 électeurs naturalisés et leur descendance, et la moitié de ceux qui ont conservé leur nationalité sont à ce stade inscrits pour les élections, ce qui porte à 75,4 % le taux d’électeurs de la communauté. Pour le Maroc, le taux est de 88,4 % des 253 857 personnes de plus de 18 ans (dont 219 288 naturalisés belges), et de 89,2 % pour les 138 978 Turcs (dont 120 019 Belges). Il chute par contre à 56,2 % pour les 220 786 Français (dont 90 107 Belges). Au total, ce sont ainsi 68 % des 1,9 millions d’allochtones de plus de 18 ans, et résidant depuis plus de cinq ans en Belgique pour les extra-européens, qui se déplaceront vers les urnes. Dont 100 % de l’unique électeur des îles des Samoa occidentales.

MICHEL DELWICHE

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