Le plan De Wever, après l’essai allemand en 14-18…

La N-VA de Bart De Wever rêve d’une Belgique confédérale réduite à quasi rien. L’occupant allemand l’a devancé en 14-18 : son envie de liquider le pays l’a déjà poussé à tester la formule. Retour sur un précédent quasi centenaire.

Bas les masques. La N-VA de Bart De Wever a fini par tuer tout suspense. Elle dévoile la sauce confédérale à laquelle elle souhaite manger la Belgique. Stupeur et tremblements ? Seulement pour les Belges qui vivent depuis trois ans sur une autre planète et qui auraient raté les derniers épisodes de l’intrigue politique du moment.Liquidation totale. Comme prévu, les nationalistes flamands veulent réduire la Belgique à sa plus simple expression. Plus de Premier ministre fédéral, une mini-équipe de six ministres bilingues juste bons à s’occuper de Défense, d’Asile, de Sécurité, d’Affaires étrangères, et à… démanteler la dette publique fédérale en 25 ans. Un Roi politiquement nu. Et en prime, des Bruxellois qui seraient condamnés à choisir d’être flamands ou wallons pour leur sécurité sociale.

Un vrai saut dans l’inconnu. Pas sans précédent en Belgique. En réalité, le pays a déjà donné. Il a connu l’aventure confédérale au cours de son histoire troublée. Deux expériences malheureuses (lire aussi en p. 25). Dont la plus aboutie et la plus significative est de sinistre mémoire. La paternité en revenait à l’occupant allemand de 14-18. Fâcheux précédent.

Flamenpolitik et Wallons ingérables

1914-1918. La Belgique est au tapis. Un coin de patrie libre en sursis, âprement défendu par une armée enterrée dans les tranchées de l’Yser, résiste encore à l’envahisseur. En pays conquis, familièrement dit, l’occupant lui-même pédale dans la choucroute.

Ce territoire que les Allemands occupent leur complique la vie. L’envahisseur n’envisageait la Belgique que comme un simple point de passage dans sa course à l’écrasement de la France. Mais, résistance militaire oblige, le voilà contraint de s’attarder en Belgique et d’administrer le pays.  » Il doit agir dans une certaine improvisation « , souligne Paul Delforge, historien attaché à l’Institut Jules Destrée, qui a étudié de près cette expérience institutionnelle peu connue.

L’occupant allemand ne trouve guère d’alliés dans la place : socialistes, catholiques, francs-maçons, tous lui tournent le dos. Au moins peut-il trouver une écoute favorable dans certains milieux flamands particulièrement remontés contre l’Etat belge avant la guerre.  » Dès 1915, la carte flamande devient un axe de la politique allemande.  » Une Flamenpolitik ambitionne de sortir le  » peuple frère  » de Flandre de l’ère de la francisation et le placer sous l’aile protectrice de l’Allemagne.

Mais la Belgique, c’est aussi une terre peuplée de Wallons. Et cette terre n’inspire rien de bon aux Allemands.  » Ils considèrent le territoire comme économiquement intéressant, mais ils se méfient de ses habitants qu’ils jugent dangereux à assimiler au sein de l’Empire allemand. Les traditions démocratiques et les sympathies françaises des Wallons les rendraient ingérables « , explique Paul Delforge.

Un tel cadeau se révèle bien encombrant.  » Que faire de ce bout de territoire roman ? Le germaniser ? Le dépecer ? Déplacer ses populations ? Le promettre à la France en guise de compensation pour conserver l’Alsace-Lorraine ?  » Toutes ces portes entrouvertes se referment successivement.

Le plan B

L’Allemand ne reste pas pour autant les bras ballants. L’administration civile et militaire qu’il met en place à Bruxelles s’attaque à reconfigurer la Belgique. Non pas pour la dépecer, dans l’immédiat tout au moins. Mais pour en faire un territoire administrativement séparé en deux entités : l’une flamande, l’autre wallonne.

Mars 1917, c’est le passage à l’acte. Scission généralisée des ministères (Agriculture, Travaux publics, Industrie et Travail, Intérieur, Justice, Finances, Marine, Postes). Maintien de l’administration flamande à Bruxelles, proclamée ville flamande et capitale de la Flandre. Et transfert des départements ministériels wallons à Namur, de facto bombardée capitale de la Wallonie.

Cette décentralisation administrative, qui se veut systématiquement favorable à la Flandre, n’est conçue que comme un marchepied vers un autre modèle. Qui reste à inventer.

Au bout de deux ans et demi de tâtonnement et de cacophonie vient le déclic. La réforme interne de l’Etat belge sur laquelle planchait une  » Kommission  » allemande accouche, fin 1917, d’un  » système confédéral à deux composantes unies sous une couronne royale unique « .

Bienvenue dans le royaume de Belgique revisité à la manière allemande. Avec dans le rôle des entités fédérées : une Flandre et une Wallonie autonomes. Totalement compétentes en matière d’enseignement, y compris universitaire. Entièrement maîtresses de la Politique d’emploi, des Impôts directs, des Travaux publics, de l’Agriculture, des Affaires intérieures, de la Poste et des chemins de fer, des Services vicinaux, de la Justice. De la Marine, quoique celle-ci soit exclusivement attribuée au nord du pays. Voire aussi d’une garde civique, dans l’hypothèse où elle ne serait pas supprimée.

Bref, deux régions appelées, au terme d’une phase transitoire qui pourrait être longue, à devenir deux nouvelles nations. Avec, in fine, leur propre parlement et un embryon d’appareil gouvernemental. Le tout à coiffer d’une coupole aux compétences fortement limitées : Affaires étrangères, poids et mesures, système monétaire, timbres, taxes douanières et de consommation, éventuellement politique militaire. Quant aux Affaires sociales, elles resteraient au niveau fédéral mais les entités autonomes se chargeront de leur mise en oeuvre. Dans ce schéma, l’unité belge sur le plan économique n’est plus qu’un souvenir.

28 mai 1918, l' » Unionsakte  » est adopté. C’est une synthèse des travaux menés par plusieurs instances allemandes, preuve du sérieux de l’opération. C’est la copie conforme d’un modèle confédéral. La Belgique à l’heure allemande devrait avoir le visage de deux régions à ce point autonomes qu’elles deviendront deux Etats.  » Les Allemands sont donc résolus à ne plus abandonner la Wallonie à la France et à conserver un ensemble belge où la Wallonie deviendra un Etat par symétrie, dans la mesure où la Flandre et l’Allemagne y ont autant d’intérêt « , observe le chargé de recherches au sein de l’Institut Jules Destrée.

Ce plan, conçu depuis Bruxelles, ne fait pas encore l’unanimité à Berlin. Il conserve par ailleurs sa part de mystère : l’identité du prince qui serait appelé à coiffer la couronne de cette Union wallo-flamande n’est pas dévoilée…

Les fonctionnaires allemands installés en pays conquis ont entre-temps parfaitement intégré la philosophie du projet : il y a une Flandre qu’il s’agit de respecter et de favoriser, et une Wallonie dont il faut bien s’accommoder. Il reste à trouver des concours intérieurs,  » des bonnes âmes  » disposées à se prêter au jeu. Candidates à faire tourner la machine administrative selon le bon vouloir de l’occupant.

L’interlocuteur flamand est le premier et le plus enthousiaste à répondre présent à l’appel de la Flamenpolitik. Le succès est tel qu’il déborde les Allemands, forcés de décevoir leur allié : l’indépendance de la Flandre, décrétée le 22 décembre 1917 par cette sorte de parlement flamand qu’est le Raad van Vlaanderen, sans l’accord de l’occupant, n’est nullement prévue au programme.

Côté wallon, l’envie de s’engouffrer dans la voie confédérale est nettement moins prononcée. Rares sont ceux qui succombent à la tentation de la Wallonenpolitik tardivement lancée, en 1917 seulement. Les amateurs ne se bousculent pas au portillon. L’occupant peine à trouver des volontaires pour garnir l’administration pour les Affaires wallonnes installée en bord de Meuse. Absentéisme, fuite, congé de maladie : les fonctionnaires à transférer de Bruxelles à Namur font le plus souvent de la résistance.  » 300 employés y travailleront jusqu’en octobre 1918 « , souligne Paul Delforge. Ils sont jeunes pour la plupart, généralement sans passé de fonctionnaires, mus avant tout par des motifs bassement alimentaires.

Au sortir de la guerre, la Justice belge ne passera pas l’éponge. Fin 1919, 23 inculpés pour trahison, fonctionnaires pour la plupart, passent aux Assises de Namur. Vingt ans de prison pour les plus sévèrement punis, des peines plus légères pour les sous-fifres. Pour leur défense, ils invoquent bien souvent l’amour de la patrie belge.  » J’ai accroché six portraits de la famille royale dans mon bureau « , plaidera un haut fonctionnaire.

Entre-temps, l’occupant allemand est rentré depuis longtemps chez lui avec armes et bagages. Avec sous le coude son plan B pour la Belgique, qu’il n’a jamais pu ou voulu mettre sérieusement à exécution.  » La politique des autorités du Reich à l’égard de la Belgique restera floue et contradictoire. L’idée d’une annexion pure et simple par l’Allemagne de tout ou partie de la Belgique n’est pas complètement abandonnée « , conclut Paul Delforge.

 » La formule douce « , confédérale, signifiait de toute façon une mise à mort de la Belgique. Toute ressemblance avec le modèle désiré par la N-VA ne serait que pure coïncidence.

La Wallonie et la Première Guerre mondiale, par Paul Delforge, Institut Destrée, 528 p., 2009.

Par Pierre Havaux

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