Le pire et l’encore pire

Voyons les choses en face. Dans ce chaos irakien, dans cette situation que Donald Rumsfeld lui-même qualifie de  » sérieuse « , le seul homme qui puisse encore permettre d’espérer une sortie de crise est l’ayatollah Sistani, le chef religieux des chiites, celui-là même qui rejette le projet de Constitution américain car il ne donnerait pas assez de place à l’islam et trop d’autonomie aux Kurdes.

Un an après avoir voulu faire de l’Irak une vitrine des valeurs occidentales au Proche-Orient, George W. Bush n’a, autrement dit, plus d’autre interlocuteur possible que cet adversaire de la laïcité qui entend imposer la loi chiite aux minorités kurde et sunnite.

On mesure à ce constat le revers que la Maison-Blanche est en train d’infliger à l’ensemble des démocraties et à tous ceux qui, dans le monde arabe et sur tous les continents, voient en elles un espoir, le garant et le moteur des libertés, mais comment ne pas voir la réalité ? Les faits sont là.

Il n’y a pas de carte kurde à jouer, car ni les sunnites ni les chiites n’accepteraient que les Kurdes gouvernent l’Irak et qu’on ne ferait, à trop vouloir s’appuyer sur eux, que flatter leur rêve de Kurdistan, d’un Etat-nation dessiné sur les actuels territoires de l’Irak, de la Turquie, de l’Iran et de la Syrie. La sagesse commande de ne pas ouvrir la question kurde.

La carte sunnite, alors ? C’est celle que jouaient les Britanniques du temps de leur protectorat, celle que jouait également Saddam Hussein, car la minorité sunnite constitue l’élite de ce pays, mais comment remettre en selle ceux qu’on vient d’en faire tomber ?

En admettant même que ce soit possible, ce retournement achèverait d’enflammer les chiites û 60 % de la population irakienne û qui croient que leur heure est arrivée car ils ont compris le parti qu’ils pourraient tirer de la règle majoritaire, de la démocratie promise par les Américains.

C’est pour cela qu’Ali al-Sistani prêche, depuis un an, patience et modération à sa communauté, parce qu’il a toujours été certain qu’elle raflerait la mise de cette intervention, et qu’il a, donc, voulu demeurer un interlocuteur de la Maison-Blanche. Il continuait, la semaine dernière, d’appeler au calme pendant que Moqtada al-Sadr, son jeune rival, tentait de l’éclipser en jetant dans l’émeute les plus pauvres des chiites, mais plus le sang coulera, plus la marge de man£uvre du vieil ayatollah se réduira.

La répression des partisans de Sadr ne fera que grossir leurs rangs et enferrer l’Amérique dans une contre-guérilla urbaine dont une armée régulière ne sort jamais gagnante. Avant que les Etats-Unis n’aient à évacuer Bagdad comme Saigon hier, avant qu’ils n’offrent, par là, une immense victoire à Al-Qaida, il faut trouver un compromis avec l’ayatollah Sistani, organiser des élections sans délai et transformer les forces d’occupation américaines en forces d’interposition de l’ONU.

Pas enthousiasmant ?

Non, pas du tout, mais les erreurs ont un prix. Le choix n’est plus qu’entre le pire et l’encore pire.

Bernard Guetta

Avant que les Etats-Unis n’aient à évacuer Bagdad comme Saigon hier, il faut trouver un compromis avec le chef religieux des chiites irakiens

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