Le phénix russe

C’est bien trop vite qu’on l’avait enterrée. Chassée d’Europe centrale, privée de l’empire que des siècles d’expansion lui avaient assuré, sortie nue de sept décennies d’économie dirigée et en plein déclin démographique, la Russie avait paru marginalisée depuis la chute du Mur.

Son effacement semblait aussi acquis que celui de l’Autriche-Hongrie ou de l’Empire ottoman, mais c’était oublier qu’elle demeure le plus étendu des pays du monde et que son sous-sol est immensément riche. Il a ainsi suffi que le décollage des économies indienne et chinoise propulse les cours de l’énergie à des niveaux record pour que ses coffres se remplissent et qu’on découvre la nouvelle puissance de ce phénix.

C’est le principal enseignement du chantage russe sur l’Ukraine. En coupant le gaz à ce pays qui fut son berceau, puis son vassal, avant qu’il s’éloigne d’elle il y a un an, la Russie lui a rappelé sa dépendance pour le replacer dans son orbite, mais Vladimir Poutine ne s’adressait pas là qu’aux Ukrainiens.

Instrument et parrain de ses services secrets, cet homme est conséquent. Après avoir pris les commandes d’une Russie abaissée par l’effondrement soviétique et la spoliation de ses ressources naturelles, il a commencé par briser les plus indépendants des nouveaux riches, ces oligarques qui avaient construit de trop rapides fortunes sur la privatisation de l’économie collective. Il a ainsi décuplé sa popularité, muselé la presse, brisé les pouvoirs régionaux qui s’étaient nourris du recul de l’Etat, intimidé tous ceux qui auraient pu s’opposer à sa reprise en main, puis il est alors passé à l’essentiel.

Il a assuré son emprise sur Gazprom, le monopole gazier dont le Kremlin est l’actionnaire majoritaire, mis un terme à l’internationalisation de Ioukos, la première compagnie pétrolière russe, dont le patron, Mikhaïl Khodorkovski, a été jeté en prison et, maintenant qu’il en dispose, il use de cette nouvelle force de dissuasion qu’est l’énergie.

Le monde a soif.

Avec un Chavez à la tête du Venezuela et des régimes arabes affaiblis par les incertitudes proche-orientales, même les Etats-Unis deviennent dépendants de la Russie. Plus personne ne peut la traiter en puissance déchue et son tout-puissant président vient de fixer les nouvelles règles du jeu.

La parenthèse des années 1990 s’est refermée, a-t-il dit en mettant l’Ukraine à sec au premier jour de l’année. Plus personne ne pourra imposer ses conditions à la Russie, vient-il de faire comprendre, et c’est vrai.

En panne d’affirmation politique et importatrice de gaz russe pour plus du quart de sa consommation, l’Europe ne le peut pas plus que l’Amérique, empêtrée en Irak, ou que la Chine, en quête de carburant.

Pour ces trois grands de l’économie mondiale, la Russie est désormais une alliée obligée, toute prête à traiter et agir avec les Occidentaux mais à ses conditions, celles d’être reconnue comme égale et de ne plus être, surtout, repoussée de son aire d’influence historique – de l’Ukraine au premier chef. l

Bernard Guetta

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