Le musée face à son public

Guy Gilsoul Journaliste

Accueil, médiation, communication. Entre les musées du nord et du sud du pays, le fossé s’élargit. Analyse à l’occasion de la remise des Prix des musées.

Initié par la revue d’art OKV (Openbaar Kunstbezit in Vlaanderen) avec l’aide du bureau d’avocats Linklaters, le Prix des musées offre chaque année trois chèques de 10 000 euros aux lauréats des trois Régions. Quinze institutions muséales avaient été choisies par une centaine de personnalités du monde de la culture. Les palmes reviennent cette fois au château de Seneffe pour la Wallonie, au musée d’Ixelles pour la Région Bruxelles-Capitale et au M Museum Leuven pour la Flandre. Les critères retenus par le jury final sont multiples et s’intéressent particulièrement à la qualité des rapports avec les divers publics. De manière très minutieuse, l’examen porte donc sur l’accessibilité, la communication, la médiation mais aussi sur l’originalité et la pertinence de la présentation ou encore la pertinence des expositions temporaires. Certes, on ne mène pas un musée d’art majeur (le M Museum Leuven, le musée d’Ixelles, le Grand Curtius, le musée Magritte…) de la même façon que ces autres consacrés au patrimoine industriel (le Miat de Gand) ou du folklore (le musée des Géants d’Ath). Les moyens financiers sont aussi déterminants. Il n’empêche. Force est de constater le fossé entre le nord et le sud du pays. L’audace marque des points côté Flandre. Et ce à tous les étages du fond comme de la forme. Ainsi, la prise en compte beaucoup plus actualisée des nouvelles technologies de la communication comme les sites Web sans cesse réactualisés et dynamiques ou encore l’utilisation de Facebook. De même le caractère vivifiant des folders, affiches et autres publications (dont les guides pour enfants). En réalité, il semble régner là plus de liberté d’action et davantage d’audace. Le but : être de son temps afin de conquérir une jeunesse éclatée, polymorphe autant que multiculturelle qui vient là pour se retrouver, s’interroger et s’émouvoir.

Le jeu stimule la curiosité

Le Stam (musée de la Ville de Gand) pourrait être ennuyeux au possible. Au contraire, on s’aventure dans cette histoire locale avec appétit grâce à une pensée de la scénographie qui transforme le visiteur en acteur-voyageur du temps. Au plus près des gens du peuple, des artisans ou des princes, la ville, tel un organisme végétal en croissance continue, se révèle ainsi d’émerveillements en questionnements. Et comme le jeu stimule la curiosité (même des adultes), on propose ici, entre autres, de construire un bâtiment en… Lego. Le Miat (musée d’Archéologie industrielle et du Textile), basé dans une ancienne usine, rappelle et analyse à son tour une histoire mais, cette fois, sous l’angle du travailleur. Le sujet pourrait n’être que passéiste, voire trop local. Or l’équipe (dont de nombreux bénévoles) intègre dans le parcours une perspective ludique : suivre le fil du temps à travers six générations d’une même famille. Face aux machines, outils, objets du quotidien, documents photo, audio et audio-visuels, la dimension politique s’impose, critique et actualisée. Le musée s’ouvre ainsi au futur social. Il encourage aussi la création actuelle en invitant de jeunes stylistes à utiliser les très anciens métiers à tisser.

Enfin, il y a la maison d’Alijn (Gand). Le musée vise à établir une relation très concrète et audacieuse avec le public (fournisseur d’idées et d’objets). Au menu : l’environnement du quotidien populaire depuis les années 1950. Soit des reconstitutions (parfois aux limites du kitsch) d’espaces domestiques, soit des thématiques (le départ en vacances, la voiture…).

Le musée temple aurait-il vécu ? Non. Il demeure un lieu de référence et chaque contenu réclame d’autres expériences avec le public. Au Grand Curtius (Liège), une initiative menée en collaboration avec la VUB vise ainsi à médiatiser le sens des £uvres religieuses (la majorité des pièces du patrimoine exposé) vers des visiteurs (d’ici et d’ailleurs) qui, au fil des générations, ont totalement perdu cette base culturelle dont nous sommes toujours les héritiers. Au musée des Géants d’Ath (dont il faut souligner la qualité des recherches scientifiques et des expositions temporaires qui tissent des liens entre les différentes régions d’Europe), on apprend la vannerie qui sous-tend la réalisation des héros populaires. Au musée de Seneffe, initialement consacré à l’exposition de pièces d’orfèvrerie, on a eu l’excellente idée de remiser les anciennes vitrines en jouant davantage la carte d’une scénographie restituant le cadre de vie aristocratique du xviiie siècle depuis le salon de dégustation de chocolat jusqu’à la salle de bains. Idem dans ce nouveau musée bruxellois, le Librarium (Bibliothèque royale), où la mise en place d’une histoire du livre et de l’écrit a été particulièrement soignée tout en révélant une collection parfois très surprenante.

La clé du succès : la liberté créative autour d’un projet clairement défini. Gageons que les visiteurs ne s’y trompent pas et font la différence entre les effets de cape et les engagements profonds. D’où l’idée des organisateurs du Prix des musées d’offrir aussi la parole au public (trois prix de 2 500 euros) ainsi qu’aux enfants (un prix).

www.prixdesmusées.be

Guy Gilsoul

La clé du succès : la liberté créative autour d’un projet clairement défini

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