» Le MR, c’est le parti des rentiers «
Le député européen et bourgmestre socialiste de Herstal brosse le PTB dans le sens du poil. Et dénonce le manque de transparence de Tecteo.
Tous l’imaginaient candidat au Parlement européen, où il travaille depuis cinq ans, ou au parlement wallon, où il a siégé de 1999 à 2009. Mais son parti en a décidé autrement. Le 25 mai, Frédéric Daerden se présentera au fédéral. Ordre de mission : contenir l’offensive du PTB, qui pourrait coûter un, voire deux sièges, au PS en province de Liège, et dès lors compromettre les chances d’Elio Di Rupo de se succéder à lui-même comme Premier ministre.
Le Vif/L’Express : Que vous soyez candidat à la Chambre a surpris beaucoup de monde. Vous y compris ?
Frédéric Daerden : On aurait pu s’attendre à ce que je poursuivre à l’Europe… Mais on m’a mis au fédéral. Avec mon consentement. Dernier sur la liste, c’est une mission à haut risque. C’eut été moins périlleux d’être dans les deux premiers sur la liste européenne. Je n’ai reçu aucune garantie en échange… C’est un engagement, pas un calcul. Mon objectif ? Apporter un sixième siège au PS à Liège, et contribuer modestement au maintien du PS au pouvoir.
En 2010, le PS avait décroché sept sièges dans la province. Vous considérez le septième comme perdu d’office ?
Le but est d’en garder au moins six… En 2010, le septième siège a été obtenu dans un contexte particulier, à quelques voix près.
Si la direction du PS vous envoie sur la liste fédérale, c’est parce qu’elle vous considère comme la meilleure arme anti-PTB ?
Ce n’est pas la motivation première, mais c’est vrai que le PTB compte plusieurs élus à Herstal. Dès lors, je les côtoie, et j’ai peut-être une meilleure compréhension du phénomène. Au Parlement européen, je mène des combats assez à gauche. A plusieurs reprises, je me suis démarqué en défendant une position plus à gauche que le reste du groupe socialiste. Je viens encore de le faire avec le quatrième paquet ferroviaire, une étape de plus vers la libéralisation du rail. J’ai voté contre la proposition de la Commission, à l’inverse de presque tous les députés de mon groupe.
Vous voulez dire que vous êtes la personnalité idéale pour ramener au bercail socialiste les électeurs tentés par le PTB ?
En réalité, on partage les mêmes constats, le PTB et moi. Le fossé entre riches et pauvres se creuse. Il y a de plus en plus de précarité. La différence, c’est qu’au PS, nous pensons que pour changer les choses, il faut accepter de participer au pouvoir. Les dirigeants du PTB le disent eux-mêmes : ils ne veulent pas gouverner. Or si on est candidat aux élections, c’est pour être élu. Et si on est élu, c’est pour participer à la décision. Sinon, il y a une incohérence…
Il se chuchote que si vous aviez été candidat à la Région, vous auriez fait de l’ombre à la tête de liste, Jean-Claude Marcourt…
Je crois plutôt que la décision était liée au fait qu’à la Chambre, la circonscription est plus grande. Et dans certaines parties de la province, notamment à Verviers, le PS a subi un recul aux communales. De plus, la formation du gouvernement fédéral est plus complexe qu’à la Région. Il faut tenir compte du rapport de force entre francophones, mais aussi avec les partis flamands. Chaque siège va compter ! Le parti a jugé utile que j’apporte mon profil, nom et expérience.
Votre nom : selon un sondage confidentiel commandé par le PS, Michel Daerden resterait la deuxième personnalité socialiste la plus populaire, derrière Di Rupo.
Je constate que de nombreuses personnes parlent de mon père avec une forme de nostalgie. Il était accessible, disponible, convivial. Les citoyens ont besoin d’élus en qui ils peuvent se reconnaître. Je ne prétends pas détenir la recette pour freiner l’ascension du PTB… Mais j’essaie d’être proche des gens, je fais du porte-à-porte, je suis très actif sur le terrain, un peu comme les militants du PTB. C’est un élément de parallélisme entre eux et moi. C’est aussi une marque de fabrique familiale. La proximité et l’authenticité ont fait la popularité de mon père.
Olivier Maroy, ex-journaliste à la RTBF, justifie son passage au MR en disant qu’il rêve d’une Wallonie » qui tourne le dos à l’assistanat « .
Les libéraux se plaisent à véhiculer l’idée que le PS serait le parti des assistés, et ils veulent nous faire croire que le MR est le parti des travailleurs. C’est totalement faux ! Le MR n’est pas le parti des travailleurs, c’est le parti des rentiers. La vérité, c’est qu’il y a des travailleurs pauvres, des indépendants pauvres, des personnes qui vivent des situations sociales inadmissibles et qui ont besoin d’aide. Certains s’enrichissent en dormant, pendant que d’autres ne trouvent pas de travail, ça ne va pas.
Après vingt-six années au pouvoir, une cure d’opposition ne permettrait-elle pas au PS de se ressourcer ?
Je suis totalement contre cette thèse ! L’opposition, ça nous permettra juste de nous réunir tous et de pleurer ensemble. Mais les citoyens en payeront les conséquences.
Dans L’Echo, le président des Jeunes socialistes a plaidé pour une réduction du temps de travail à 32 heures par semaine. D’accord avec lui ?
Je suis convaincu de la nécessité de partager le travail disponible. On n’a jamais vu une telle augmentation de la productivité. Mais comme la consommation n’augmente pas dans le même rythme, forcément, cela crée du chômage… La répartition du travail ne peut être laissée au marché. Il faut permettre à chacun de travailler un nombre d’heures qui lui assure une vie décente. Les 32 heures, pourquoi pas ? Cela doit s’étudier.
En période de crise, c’est impayable, non ?
Ce qui est impayable, c’est le chômage… On doit remettre sur le métier le thème de la réduction du temps de travail.
Jean-Pascal Labille ne sera pas candidat le 25 mai. N’est-ce pas stupide, de la part du PS, de se priver d’une telle personnalité ?
Faut-il être sur une liste pour soutenir les valeurs socialistes ? Non. Jean-Pascal l’a dit lui-même. Il a aidé le parti avant d’être ministre, pendant qu’il l’était, il le fera après.
Si le PS perd les élections à Liège, on dira que le renfort de Labille lui aurait peut-être permis de limiter la casse.
On ne va pas cacher qu’il y avait un antagonisme entre lui et le président de la fédération, Willy Demeyer… Une autre logique aurait été que Jean-Pascal, en tant que ministre fédéral, soit tête de liste à la Chambre, comme cela se passe généralement. Mais il ne faut pas vivre dans le regret.
Sa carrière politique s’arrêtera-t-elle le 25 mai ?
Ah ça, non. Il continuera à jouer un rôle dans l’action du PS. Je ne crois pas qu’il va maintenant retourner aux Mutualités comme si de rien n’était.
Le rachat de L’Avenir par Tecteo, c’est une opération que vous approuvez ?
Je suis un ardent défenseur de l’initiative industrielle publique. Mais un secteur n’est pas l’autre… Dans le cas de Tecteo, si cela se fait dans la transparence, pourquoi pas ? Mais je m’interroge. Cette opération a-t-elle été lancée dans une logique de rentabilité financière ? Si oui, j’attends qu’on me le démontre, car Herstal est actionnaire de Tecteo. L’objectif était-il de posséder son média ? Si on est attaché à la liberté de la presse, cela n’a pas de sens. On aboutit alors au véritable but : assurer une complémentarité entre les différents secteurs de l’intercommunale. Tecteo reste une belle entreprise, mais elle a besoin d’une stratégie claire et de transparence. Là-dessus, je reste sur ma faim.
Entretien : François Brabant
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