» Le monde arabe est en plein désarroi « 

Miguel Angel Moratinos, représentant de l’Union européenne au Proche-Orient de 1996 à 2003, est l’un des artisans de l’accord de paix virtuel de Genève, négocié entre l’Israélien Yossi Beilin et le Palestinien Yasser Abed Rabbo

Ce plan de paix de Genève a-t-il changé quelque chose au contexte politique ?

Il est intervenu à un moment crucial où beaucoup de gens commençaient à croire que la paix était une utopie, qu’il n’y aurait jamais de volonté d’engagement politique entre Palestiniens et Israéliens. Or les signataires du plan de paix de Genève nous ont prouvé qu’il restait un espoir. Ils nous ont montré que, au sein de deux peuples que l’on disait irréconciliables, certains pouvaient trouver un terrain d’entente, même sur des points de détail ; qu’il y avait, de part et d’autre, des partenaires de bonne volonté, qu’ils appartiennent au monde politique, intellectuel ou économique.

Quel est l’accueil réservé à ce plan par l’Union européenne et les Nations unies ?

L’Union européenne accueille avec satisfaction ces propositions dans leurs grandes lignes. Même chose pour la Russie et les Nations unies. Les Etats-Unis peuvent paraître plus réservés, mais ils ont eu le courage de recevoir officiellement les deux négociateurs Beilin et Abed Rabbo, et aussi l’honnêteté de reconnaître le caractère réaliste de cet accord virtuel. Ce qu’il faut, c’est trouver une occasion de transformer cet accord virtuel en une initiative du  » quartette  » formé par l’Union européenne, la Russie, les Nations unies et les Etats-Unis. Par ailleurs, je trouve que le monde arabe doit se poser une question existentielle. Il est en plein désarroi. Il faut qu’il s’interroge sur l’avenir de ses relations avec le monde occidental. Et c’est dans la réponse qu’il trouvera qu’apparaîtra une nouvelle dynamique de paix.

L’Union européenne soutient-elle plus les Palestiniens que les Israéliens ?

Non. Je sais que, dans certains milieux de la société israélienne, on nous reproche parfois de ne pas avoir une position équitable. Mais Yasser Arafat m’a raccroché au nez plusieurs fois quand on négociait durement, notamment la nomination d’un Premier ministre palestinien afin de renforcer le pouvoir exécutif. Nous, Européens, sommes aussi capables de hausser le ton avec les Palestiniens ! Et, quand il faut faire pression sur Israël, on sait aussi le faire, même si ce pays bénéficie de la protection des Etats-Unis.

Que pensez-vous des récentes et très sévères critiques de l’écrivain israélien Amos Oz à l’égard de l’Europe ?

Elles sont excessives. Je respecte ce grand écrivain et intellectuel israélien. Mais j’aurais bien voulu entendre davantage ces intellectuels israéliens qui gardaient le silence pendant la période la plus tragique de la deuxième Intifada. Il aurait fallu parler quand les missiles tombaient, que la population palestinienne subissait une terrible répression. Où était donc M. Amos Oz alors que je m’efforçais de maintenir allumée une petite flamme ?à

Les Israéliens, avec la multiplication des attentats terroristes, ne risquent-ils pas de s’enfermer derrière un mur de peur ?

D’abord, je comprends leur peur pour l’avoir éprouvée moi-même quand j’étais ambassadeur d’Espagne en Israël et qu’il me fallait envoyer mes enfants à l’école en autobus. Je m’efforce de convaincre les Palestiniens de renoncer aux attentats terroristes, car ceux-ci interdisent l’émergence d’un grand camp de la paix en Israël. Et il faut dire aux intellectuels israéliens qui ont une vision de l’avenir de ne pas se laisser emprisonner dans la spirale attentats-répression.

La construction du mur séparant Israéliens et Palestiniens est-elle irréversible ?

Ce serait une tragédie si c’était irréversible ! On ne peut pas construire des murailles et des remparts au xxie siècle. Les murs et les forteresses ne protègent personne, ou alors très peu de temps. Si l’on doit construire un mur de séparation, ce doit être de façon bilatérale et non unilatérale.

La campagne présidentielle américaine constitue-t-elle un handicap pour la relance d’un processus de paix au Proche-Orient ?

Malheureusement, le dossier du Proche-Orient a toujours été l’otage du calendrier électoral américain. Ce n’est pas nouveau. La paix mérite pourtant d’être libérée de ces contingences électorales et d’être traitée dans l’urgence !

Alain Louyot

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