Le miracle Claudel
Plus de cinquante ans après son entrée dans la Pléiade, l’auteur du Soulier de satin fait un retour théâtral sur papier bible. Preuve de sa singulière permanence.
Paul Claudel (1868-1955) n’a que 22 ans lorsqu’il reçoit de Mallarmé son baptême d’écrivain : » Le théâtre, certes, est en vous « , lui certifie le poète après la lecture de Tête d’or. Campé à l’avant-scène du théâtre, du monde et de sa vie, le garçon à tête ronde avait lancé par la bouche de Cébès : » Me voici,/ Imbécile, ignorant,/ Homme nouveau devant les choses inconnues,/ Et je tourne la face vers l’Année et l’arche pluvieuse, j’ai plein mon c£ur d’ennui !/ Je ne sais rien et je ne peux rien. Que dire ? Que faire ? A quoi emploierai-je ces mains qui pendent ? ces pieds qui m’emmènent comme les songes ? »
Cent vingt ans après ces premières lignes et une première édition sur papier bible de son théâtre en 1947 et 1948, du vivant de l’auteur – qui donnait successivement les différentes versions de ses grands drames – les éditions Gallimard réaffirment la présence de Claudel en lui offrant une nouvelle Pléiade, dirigée par Michel Autrand et Didier Alexandre.
Qui l’eût cru dans les an-nées 1970-1980, adonnées à la perte de sens ou à la contemplation du non-sens beckettien ? Pourtant, il faut se rendre à l’évidence : avec des mises en scène de L’Echange comme s’il en pleuvait et plusieurs Partage de midi, sans oublier la reprise du Soulier de satin, le théâtre de Claudel est loin d’être en perte de vitesse. Au contraire, si ses pièces bien peu dans l’air du temps, en leur langage, leurs exigences, leurs incursions dans l’au-delà, leur austérité parfois, sont toujours à l’affiche, c’est qu’elles posent les seules questions qui vaillent. Celles que l’auteur lui-même a affrontées, notamment lors de sa liaison adultère avec Rosalie Vetch : le sens de l’amour et de la fidélité, la famille, l’histoire, le bien et le mal, l’orgueil, l’intérêt, le mensonge, la lâcheté, le sacrificeà Claudel trempe sa plume dans son propre sang, un sang épais, avec des caillots de culpabilité et des giclées de joie profonde.
Dans la pénétrante introduction où il scrute son génie théâtral au regard de sa foi catholique – une foi incarnée à hue et à dia mais bel et bien fichée au c£ur de sa création – Didier Alexandre met en exergue le fondement de l’£uvre claudélienne : » Il s’agit de comprendre comment une vie – comment toute vie – peut échapper au non-sens de l’ignorance, de l’incapacité à agir, à l’ennui, et comment une présence prend ou ne prend pas une signification. «
Pour toute une jeune génération de metteurs en scène, d’Olivier Py à Yves Beaunesne, de Julie Brochen à Jean-François Sivadier, cette quête de sens trouve une incarnation fabuleuse dans la cohorte des personnages de Claudel comme dans sa langue, langage outil forgé dès l’origine pour relier le ciel au bitume. Fausse amie du comédien. Encline au lyrisme. Vaste, certes, mais si facilement répandue. L’auteur lui-même a passé des nuits blanches à la plier afin de lui faire toucher les planches. Mais que surgisse sa juste profération, et la beauté de ce vers sans rime ni mètre, » trop fort pour les cordes humaines » (Albert Thibaudet), propulse au plus haut la dernière grande révolution dramaturgique du XXe siècle.
Paul Claudel, théâtre. La Pléiade, Gallimard, tome I, 1 776 p., tome II, 1 904 p. Le tome I contient deux versions de Tête d’or, L’Echange, Le Partage de midi, L’Otageà Le tome II, Le Pain dur, Le Livre de Christophe Colomb, Le Soulier de satinà
A signaler : toujours dans la Pléiade, l’Album Claudel, commenté par Guy Goffette, est offert pour l’achat de trois volumes dans La Pléiade.
LAURENCE LIBAN
Dans ses pièces, Paul Claudel pose les seules questions qui vaillent
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