Le messager du désert
Méconnu en Occident, le Mauritanien Moustapha Limam Chafi passe pour l’homme de l’ombre le plus influent d’Afrique. Un statut taillé au gré d’un parcours romanesque.
Frêle silhouette et fines lunettes, Moustapha Limam Chafi, jeune quinquagénaire, passe pour l’émissaire de l’ombre multicartes le plus influent d’Afrique. Notamment dans le maquis piégé des preneurs d’otages sahéliens. Atavisme ? Moustapha a beaucoup appris dans le sillage d’un père autoritaire, commerçant et transporteur prospère. Mais aussi notable de la prestigieuse lignée des Tajakanet, rompu à l’art subtil de l’arbitrage des litiges tribaux. Cette figure tutélaire lui aura en outre légué le culte de la rigueur, le sens du nomadisme et le goût de la dissidence.
A Ouagadougou, dans les an-nées 1980, Chafi croise le capitaine Thomas Sankara, dont le charisme le séduit bien davantage que les lubies afro-marxistes. Il se lie alors avec son second, un grand officier taiseux de l’ethnie mossi nommé Blaise Compaoré. Lequel, à la faveur d’une mutinerie, enjambe le cadavre de l' » ami » Sankara et s’empare, dès 1987, des rênes de l’ex-Haute-Volta. S’ensuit entre les deux hommes une brouille de sept ans, qui ne s’achève que lorsque » le beau Blaise » s’engage, avec le concours de l’Algérie et de la France, en faveur d’une issue négociée au soulèvement touareg qui embrase le nord du Niger. Mais voilà : il ne peut rien sans l’entregent et les réseaux de Chafi, ami intime du légendaire chef rebelle Mano Dayak, qui, dans une vie antérieure, lui enseigna la natation à la piscine olympique de Niamey… Conduite avec l’actuel chef de la diplomatie burkinabée, Djibril Bassolé, alors officier de gendarmerie, la médiation accouchera d’un accord précaire.
Il agit en service commandé au-delà de l’aire sahélienne
Ainsi commence, entre Compaoré et son missus dominicus, un long compagnonnage. C’est d’ailleurs par l’entremise du » président Blaise » – ainsi le désigne-t-il – que MLC rencontre le Guide libyen, Mouammar Kadhafi. Là encore, les travers du » militant suprême » et de son entourage ont tôt fait de ternir son aura. Il faut dire qu’en matière de machiavélisme Moustapha eut de bons maîtres. Il cite ainsi volontiers le stratège chinois Sun Tse, auteur, au VIe siècle avant notre ère, d’un fameux traité d’art militaire. Plus inattendu au panthéon de ses auteurs fétiches, Primo Levi, rescapé de la Shoah.
» Chafi, souligne Bassolé, a un sens inné des relations humaines. Il se sent à l’aise dans tous les milieux, inspire confiance et peut se montrer tout de suite très utile. D’autant que son statut officieux lui confère une marge de manoeuvre peu commune. » Polyglotte – il parle huit langues, dont l’arabe, le tamacheq (idiome touareg) et le haoussa, pratiqué notamment dans le nord du Nigeria -, MLC agit en service commandé au-delà de l’aire sahélienne.
Bien sûr, la vigueur des réquisitoires de l’exilé mauritanien à l’encontre du régime de Nouakchott, qui l’accuse de fournir » un appui financier et logistique à des groupes terroristes « , parasite l’échiquier régional. » Cela pollue tout, avance un diplomate. Y compris la médiation de Blaise. » » Je ne cesse de lui prêcher la retenue, soupire en écho Djibril Bassolé, mais en vain. Après, c’est à moi de limiter la casse… » C’est ainsi : paré de ses atours de » facilitateur » tous azimuts, l’ex-putschiste Compaoré sait ce que sa miraculeuse réhabilitation doit à son éminence grise, fût-elle détestée à Alger. » Je ne cherche pas le pouvoir « , confie volontiers MLC. Pourquoi diable courir après ce que l’on détient déjà ?
V. H.
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