Le mauvais plongeon de Gilbert Bodart

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Le brillant gardien dans l’étau des matchs truqués

Sa vie est un roman qui mélange les genres. Car la belle épopée de ce gardien de but, qui a forgé son terrible caractère en se fracassant dur la gueule au pied des terrils d’Ougrée, terre sainte du Standard de Liège, s’est muée en scénario de série noire. Collection polar réaliste, pas SF… Gilbert Bodart, un nom qui respire bon le terroir, est le héros d’une très sale histoire où se mêlent sexe, fric, sport, célébrités et truanderie. Le citoyen de Verlaine est dans l’£il du cyclone des enquêtes sur la corruption qui secouent le football belge depuis plusieurs semaines. Après Paul Put, licencié par l’Excelsior Mouscron pour son vilain passé au Lierse – aveux pour le championnat 2004-2005 -, l’étau se resserre autour de l’ancien portier légendaire de Sclessin.

Le week-end passé, certains quotidiens annonçaient que Bodart était passé à son tour à table en révélant comment et avec qui s’organisait, à La Louvière, le truquage des rencontres afin de réaliser de plantureux gains par le biais de paris en ligne. En tant qu’entraîneur des Loups, il aurait été l’exécutant des basses £uvres du duo formé par le Chinois Ye et l’agent de joueurs Attalla. Démissionnaire depuis le 21 février, l’ancien portier nie avoir fait des aveux en ce sens. Mais vit sous une pression maximale. Parce que révéler les pratiques de corruption du foot, c’est toucher à une organisation de type mafieux, l’ancien Diable rouge a donc des raisons de craindre pour son intégrité physique. Son épouse a déposé plainte, en début de semaine, à la suite, soutient-elle, d’intimidations, s’étant rendue compte qu’elle était poursuivie  » par un 4 x 4 « . La police assure une protection rapprochée de la famille Bodart tandis que continuent les enquêtes menées par la juge d’instruction Silviana Verstreken et celle, parallèle, du procureur René Verstringhe pour l’Union belge.

Comment Gilbert Bodart, un fort en gueule au c£ur tendre, a-t-il conduit sa vie et celles de ses proches, si précieuses à ses yeux, dans pareille impasse scabreuse ? Un enchaînement d’erreurs qui l’ont fragilisé. Puis ruiné .

Rongé par le jeu

 » La plus grosse erreur de ma carrière fut d’avoir quitté le Standard pour Bordeaux « , a-t-il un jour confié. Les  » Rouches « , c’est toute la vie de Bodart. Dans le livre de Pierre Bilic, Les Dieux du Standard, Gilbert a évidemment droit à un beau chapitre. Après avoir effectué ses premiers plongeons dans son club de village, le CS Verlaine, il a très tôt rallié le club phare de la Wallonie. De 1981 à 1998, il a défendu 469 fois les filets de son club fétiche, remporté 4 titres de meilleur gardien de Belgique et remporté un titre de champion, en 1983. Il brille. Mais dérange aussi. La presse flamande ne l’épargnera jamais. On est pour ou contre Bodart. Aujourd’hui encore. En 1996, en même temps qu’un autre caïd du vestiaire Marc Wilmots, Bodart quitte son club fétiche. En montant à Bordeaux, Gilbert entame en fait sa descente en enfer…

En Gironde, le Belge n’est pas plus heureux que ça malgré une agréable conjoncture sportive. Touché par un étrange spleen du pays, le Verlainois reviendra par la petite porte à Sclessin en 1998. Mais en ressortira aussi vite, car jugé trop influent, trop dérangeant. Un caractère fort, trop fort, comme celui d’autres gardiens d’envergure. Mais il y a autre chose. La vérité est que Bodart est malade de jeux. Depuis toujours. C’est un parieur fou, sur les courses de chevaux surtout. Et ce ne sont certainement pas ses passages en Italie à Brescia (1998-2000) puis à Ravenne (2000-2001) qui l’aideront à se débarrasser de ce vice.

Avant d’effectuer une dernière pige, entre les perches, à Beveren (2001-2002), le Diable à 14 reprises et 2 Coupes du monde (1986 et 1990) est bel et bien dans le rouge. Et sa situation financière précaire en fait une proie facile pour les corrupteurs. Bodart entame sa carrière d’entraîneur à Visé (D2) puis rejoint de manière surprenante Ostende. L’on découvre aujourd’hui que du côté de la Reine des plages, il fréquentait assidûment une agence de paris sportifs et qu’il lui est également arrivé de miser sur la défaite de sa propre équipe… Limogé (2005), il s’égara quelques semaines à Alost (D3), club à la réputation sulfureuse, avant d’être placé à La Louvière. N’était-il qu’une simple marionnette de Ye au Tivoli, où l’on n’aurait pas attendu sa venue pour systématiser la tricherie ? L’hypothèse ne tient pas de la science-fiction.

Alexandre Charlier

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