LE MAUVAIS AUGURE DE L’UKRAINE

Zbigniew Kazimierz Brzezinski est un homme que l’on a un peu trop rapidement oublié. Principal conseiller de Jimmy Carter de 1977 à 1981, cet artisan majeur de la politique extérieure américaine, né à Varsovie en 1928, a joué un rôle décisif dans la fixation d’un certain nombre de concepts déterminants ; expert auprès du CSIS (Center for Strategic and International Studies), membre du très influent Council on Foreign Relations, il conserve jusqu’à aujourd’hui une aura appréciable parmi certains démocrates. Barack Obama fit de lui son conseiller aux affaires étrangères lors de sa première campagne présidentielle, après avoir noté combien le géopoliticien avait critiqué la  » guerre contre la terreur  » menée sans grand succès par George W. Bush.

Entre autres idées, qui comportent un lot de vraies bonnes intuitions, on doit à Brzezinski d’avoir défendu dans un livre important, publié en 1997, Le Grand Echiquier (Hachette Pluriel – l' » autre  » ouvrage d’influence majeure avec Le Choc des civilisations, de Samuel Huntington, dont il contredit la thèse), l’idée géniale qu’il fallait aider militairement les moudjahidines à combattre les Soviétiques en Afghanistan afin d’assurer coûte que coûte la victoire des Etats-Unis. Sur une photo célèbre, on le voit montrer directement à Ben Laden comment manipuler un lance-roquettes… Sans surprise, l’apprenti sorcier a joué un rôle moteur dans l’achèvement de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, dans les avancées de l’Otan en Europe orientale et dans le Caucase, dans les pressions exercées par les Etats-Unis sur l’Union européenne pour la contraindre à intégrer la Turquie, ainsi qu’en Tchétchénie – où il s’est donné une stature de médiateur pacifique, moins pour l’amour du peuple tchétchène que dans le but d’entretenir un conflit périphérique susceptible d’affaiblir la Russie.

Il n’empêche. On est surpris de relire ce qu’il dit de l’Ukraine dans son maître livre, sachant que ses thèses ont directement inspiré Vladimir Poutine – mais, évidemment, en sens rigoureusement inverse.

 » Quant à la Russie, malgré sa puissance nucléaire, elle subit un recul catastrophique. Les Etats-Unis s’emploient à détacher de l’empire russe ce qu’on dénomme aujourd’hui à Moscou « l’étranger proche », c’est-à-dire les Etats qui, autour de la Fédération de Russie, constituaient l’Union soviétique.

A cet égard, l’effort américain porte sur trois régions clés : l’Ukraine, essentielle avec ses 52 millions d’habitants et dont le renforcement de l’indépendance rejette la Russie à l’extrême est de l’Europe et la condamne à n’être plus, dans l’avenir, qu’une puissance régionale.

[…] L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’Etat russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot politique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie.  »

D’où il ressort qu’il est crucial pour les Etats-Unis de séparer du reste les Etats qui ceinturent la Russie – ce à quoi ils s’emploient ; autant qu’il est essentiel pour cette dernière de les conserver dans son giron – ce en quoi elle excelle. Bras de fer que Brzezinski résume au mieux :  » La Russie ne peut pas être en Europe si l’Ukraine n’y est pas, alors que l’Ukraine peut y être sans la Russie.  » Ce qui permet au stratège américain d’esquisser une porte de sortie possible :  » Dans le cas où la Russie miserait son avenir sur l’Europe, l’intégration de l’Ukraine servirait ses intérêts. De ce point de vue, les relations entre l’Ukraine et l’Europe peuvent constituer la pierre de touche du destin de la Russie.  » A condition que Vladimir Poutine ait vraiment choisi l’Europe, ce que rien ne montre…

PS : les élections européennes du 25 mai auront lieu le même jour que la présidentielle ukrainienne…

par Christian Makarian

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