Le maître du palais

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Quand il passe son tablier gris, sa main ne tremble pas, malgré les 300 tasses de café qu’il goûte chaque jour. A vrai dire, Etienne Moernaut, maître torréfacteur chez Douwe Egberts, n’est pas un homme nerveux. Dans un métier comme celui-là, on apprend la patience, forcément, puisqu’il n’y a qu’elle qui apprenne ce métier de goût et de mémoire. Un peu plus de soixante variétés de café sont produites dans cette usine de la banlieue bruxelloise, qui jongle avec une centaine de modes de torréfaction.  » En matière de café, le mot ôidentique » n’existe pas, explique Etienne Moernaut. Un café provenant d’un même paquet et utilisé avec 4 percolateurs donnera 4 goûts différents. Or ce que l’on attend de nous, c’est un café qui ait quasiment toujours le même goût, quels que soient la saison, la qualité de la récolte, le temps…  » Pour atteindre cette saveur constante, les maîtres torréfacteurs jouent aux alchimistes et allient savamment 3 à 10 variétés de café, jusqu’à former le mélange idéal. Et si l’une d’entre elles, indispensable, venait à manquer ?  » On arrête la production. On attend le bateau.  » De la patience, encore.

La sélection des grains est sévère. Avant que la commande ne soit passée, un premier échantillon de café vert est envoyé à la société, par avion, pour être goûté et pour recevoir un code de qualité ; un deuxième parvient à l’usine lorsque le café, âgé de deux ans tout au plus, a déjà été acheminé jusqu’aux quais d’embarquement du port, dans son pays d’origine ; un troisième aboutit – éventuellement – entre les mains des goûteurs lorsque la marchandise est débarquée à Anvers et un quatrième est enfin prélevé à son arrivée à destination. En dépit de ces multiples précautions, il arrive que des cargaisons de grains verts, jugés de qualité insuffisante, soient renvoyés à leur expéditeur. L’échelle du goût propre aux torréfacteurs de Douwe Egberts compte 495 codes de qualité, dont une trentaine sont utilisés actuellement.  » On n’a jamais fini d’apprendre, sourit Etienne Moernaut, fort, pourtant, de ses trente ans d’expérience. D’ailleurs, aucune école ne prépare à cette fonction. Si l’on tombe sur une qualité de café inédite, il faut créer un nouveau code pour ce type de grains-là.  »

C’est dans cet esprit-là que, deux à trois fois par an, tous les torréfacteurs du groupe Douwe Egberts se retrouvent. Au programme : le rééquilibrage de leur perception du goût. Le café que l’on boit en Belgique, aux Pays-Bas ou en France n’est certes pas comparable. Mais il est essentiel que les critères d’évaluation des grains le soient, notamment pour pouvoir échanger de la marchandise entre pays en parlant bien de la même chose. Mis à l’épreuve, les torréfacteurs sont invités à déguster divers breuvages à l’aveugle et à les classer.  » On arrive toujours à un compromis sur leur classification.  »

Lorsque le café vert arrive enfin à bon port, les maîtres torréfacteurs le goûtent à nouveau, dans… 9 tasses différentes,  » pour être sûrs que la perception soit la bonne « , puis il est recraché. Un bulletin est attribué à chaque variété, qui dira si celle-ci est fleurie ou douce, fraîche ou rude. Autant de qualificatifs essentiels pour aiguiller le choix qui aboutira, ensuite, au métissage idéal des cafés. Ceux-ci feront, à leur tour, l’objet d’une nouvelle dégustation, avant d’être mis en production. Toutes les heures, un paquet sera choisi par ligne de production pour être goûté une fois encore. Rien, décidément, n’est laissé au hasard : ni la couleur du grain, ni la durée de sa torréfaction, ni le choix de l’une des 4 moutures possibles…

En bout de course, c’est le maître torréfacteur qui donne le feu vert à la mise des paquets sur le marché. S’il juge qu’un produit a échoué à l’un des multiples examens qui lui sont imposés (goût et emballage), il ordonne sa destruction immédiate. Seul le grand patron pourrait s’opposer aux décisions du grand maître. Cela n’est jamais arrivé. L.v.R.

Laurence van Ruymbeke

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