Le jeune homme et la mort

Pour Mozart, de santé fragile, elle fut la compagne de toute une vie. Sur sa fin précoce, les versions – scientifiques ou fantaisistes – ne manquent pas

(1) Mozart, Lettres des jours ordinaires, choisies et présentées par Annie Paradis, Fayard.

Je ne me mets jamais au lit sans me rappeler que peut-être – si jeune que je sois – le lendemain je ne serai plus.  » Dans une lettre qu’il adresse à son père, très malade, le 4 avril 1787, Mozart avoue son fatalisme devant la mort (1). Il n’a que 31 ans. Mais, déjà, Thanatos rôde dans son entourage. Son premier grand choc, Wolfgang l’éprouve en 1778, lors d’un séjour à Paris. Anna Maria, sa mère, qui l’accompagne, meurt après quinze jours d’agonie. Elle est enterrée dans le cimetière de l’église Saint-Eustache. Mozart n’ose pas en informer immédiatement son père, resté à Salzbourg. Pour le préparer à cette triste nouvelle, il lui explique d’abord que  » sa chère maman  » est au plus mal et qu’il s’en remet désormais à la volonté divine.  » Aucun docteur, aucun homme, aucun hasard ne peut donner à l’homme la vie ni la lui ôter, mais Dieu seul « , lui écrit Wolfgang. En 1782, il épouse Constance Weber. Son bonheur sera vite assombri par le décès, en bas âge, de deux garçons nés de ce mariage.

Première affection grave à 6 ans

Cette familiarité avec la mort tient aussi à la santé fragile du musicien prodige. H. C. Robbins Landon le précise dans son ouvrage 1791, la dernière année de Mozart (Fayard) : Mozart contracte à 6 ans, sa première maladie grave, une affection streptococcique. Il est ensuite victime d’une crise de rhumatisme articulaire aigu. En 1765, il sombre dans le coma, à la suite d’une fièvre typhoïde. L’année suivante, une nouvelle poussée rhumatismale l’affecte. En 1771, c’est une hépatite qui le terrasse. Lorsque, en 1781, il quitte le service du prince-archevêque Colloredo, à Salzbourg, le streptocoque le frappe encore une fois. A Vienne, où il habite désormais, sa situation se détériore, avec de redoutables coliques et de violents vomissements. Le Dr Peter Davies, auteur d’une étude publiée en 1984, Mozart’s Illness and Death, estime qu’alors sa maladie se complique d’un syndrome de Schönlein-Henoch. Cette affection commence à lui abîmer les reins. A l’époque, les moyens de diagnostic sont limités et les traitements peu efficaces. Dans ses lettres, son père enjoint régulièrement Wolfgang de se faire  » saigner  » (pratique classique au xviiie siècle), pour éliminer ses mauvaises humeurs. En 1780, il lui recommande aussi de  » rester chaudement vêtu, de ne pas boire de vin et de prendre au coucher un peu de poudre noire mélangée d’une pointe de couteau du remède du margrave « . Des conseils dérisoires par rapport aux graves affections dont Mozart était déjà atteint.

Confusion mentale

En juillet 1791, Wolfgang reçoit une commande d’un mystérieux mécène :  » Composez-moi un requiem.  » Confronté à des problèmes financiers, il accepte, bien qu’à bout de forces, après un voyage exténuant à Prague. Selon Georg Nikolaus Nissen, second époux de Constance Mozart et auteur d’une biographie (inachevée) du musicien :  » Il se mit tout de suite à sa messe des morts et y travailla avec un acharnement extraordinaire et un vif intérêt ; mais son indisposition s’accrut en proportion et le plongea dans la mélancolie […]. Son teint était pâle, son regard terne et triste […]. Il se surmenait tant qu’il n’oubliait pas seulement tout l’univers autour de lui, mais sa fatigue même. Tout à coup, il tombait sans forces et il fallait le porter sur son lit.  » Dans la deuxième moitié d’octobre, un état de confusion mentale l’envahit : il imagine écrire sa propre messe de requiem et craint d’avoir été empoisonné. Il compose fiévreusement le Kyrie eleison, ébauche le Confutatis, le Recordare et l’Offertoire de sa messe. Le 19 novembre, Mozart effectue sa dernière sortie en ville. Il se rend à la brasserie du Serpent d’or et confesse à un ami :  » Je suis saisi d’un froid que je ne puis m’expliquer.  » De retour chez lui, son corps se met à enfler. Cette bouffissure traduit probablement une rétention d’eau et de sel, elle-même due au dérèglement de ses fonctions rénales. Sa peau se couvre de macules rouges. Il ne peut plus rien ingurgiter. Son médecin l’estime perdu. Le 3 décembre, Wolfgang trouve encore assez d’énergie pour organiser, dans sa chambre, une répétition du Requiem.  » Comme ils arrivaient au premier verset du Lacrimosa, Mozart eut soudain la certitude qu’il n’achèverait pas son £uvre, assure un témoin. Il se mit à sangloter et écarta la partition.  » Le 4 décembre au matin, la s£ur de Constance qui le veille, recueille cet aveu :  » J’ai déjà le goût de la mort sur ma langue.  » Le 5 décembre, à minuit cinquante-cinq, à 35 ans, 10 mois et 8 jours, il rend son dernier souffle. Sur l’acte de décès figure la cause officielle de sa mort :  » Fièvre miliaire aiguë « . Au regard des symptômes décrits, le diagnostic paraît aujourd’hui peu convaincant.

Comme un génie ne peut avoir une fin ordinaire, plusieurs versions, plus ou moins romanesques, ont été données depuis deux siècles. La première invoque l’empoisonnement criminel. Le coupable ? D’abord le mari de Magdalena Hofdemel, maîtresse supposée de Wolfgang. Autre suspect : le compositeur italien Antonio Salieri, jaloux du succès du jeune Mozart. Le film de Milos Forman, Amadeus, reprend cette thèse. Dans la réalité, le maître de chapelle de l’empereur d’Autriche admirait beaucoup Wolfgang et s’était indigné, à la fin de sa vie, de cette  » horrible rumeur « . Pour certains spécialistes, Mozart aurait été victime d’une crise d’urémie. D’autres privilégient la piste d’une fièvre rhumatismale, plus grave que celles qu’il avait connues auparavant. A l’époque de sa maladie, une épidémie de streptococcie faisait en effet des ravages dans la ville de Vienne. Dernière hypothèse en date, émise par un médecin américain : Mozart serait mort d’une trichinose, transmise par le parasite d’une viande avariée. Il aurait reconnu, dans une lettre datée du 8 octobre, avoir mangé une côte de porc. Son agonie coïnciderait avec la durée d’incubation de cette infection alimentaireà

Les incertitudes demeurent également sur les conditions de son enterrement et les errances de ses ossements. Inhumé dans un caveau collectif de 16 cercueils, situé dans les environs de Vienne, son squelette aurait été déterré dix ans plus tard. Le fossoyeur aurait alors récupéré le crâne de Mozart. Ses héritiers l’auraient confié à un anatomiste. Cette relique se trouve aujourd’hui au Mozarteum de Salzbourg. Difficile d’en assurer l’authenticité !

Jean-Marc Biais

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