Le jackpot de Séoul

Grâce à sa politique volontariste, la Corée du Sud est devenue le n°1 de l’ADSL, connexion rapide à haut débit. Aujourd’hui, le pays y trouve son compte

De son mercredi, Jun-ki, 18 ans, n’aura pas beaucoup profité. Enfermé dans une salle de jeux en réseau perdue au fin fond d’un centre commercial de Séoul, ce jeune Coréen a préféré affronter tout l’après-midi des guerriers virtuels, calé dans un fauteuil. A peine rentré chez lui, il a lu ses e-mails et a fini la soirée en communiquant avec ses amis via une communauté virtuelle. L’emploi du temps de Jun-ki ressemble à celui de 26 millions d’internautes coréens. Normal: en Corée du Sud, on clique comme on respire. Car l’Internet à la coréenne a tous les avantages: faible coût et rapidité. Pour une trentaine d’euros par mois, les Coréens surfent sur le réseau le plus rapide du monde. Télécharger des vidéos ou dialoguer sur les forums est une vraie partie de plaisir. Pas étonnant que 8 millions de foyers coréens aient opté pour le haut débit, l’ADSL (Asymetric Digital Subscriber Line) et le câble. La Corée, en termes de taux de pénétration du haut débit (64%), a distancé Singapour, Taïwan et le Japon, pourtant roi de l’Internet mobile. Son marché est déjà saturé tandis que la plupart des pays occidentaux attendent que l’Internet large bande décolle enfin, sauf la Belgique dont l’association des providers (l’ISPA) assure que 44% des internautes utilisent des connexions permanentes.

Le fruit d’un coup politique

La folie Internet qui règne sur la péninsule coréenne a d’abord été le fruit d’un joli coup politique. « Après la crise économique, le pays avait besoin de relancer son économie, les nouvelles technologies représentaient l’eldorado rêvé », se souvient Hwang Kwang-sun, d’Interpark.com, l’un des premiers sites marchands du pays. En 1999, le ministère de l’Information et de la Communication lance le programme Cyber Korea 21. Objectif: informatiser et connecter les entreprises, les écoles et les particuliers au réseau des réseaux. Coût de l’opération: 29,3 milliards d’euros. Le gouvernement n’hésite pas à subventionner jusqu’en 2000 tout achat de PC. Mieux, il fait la promotion des logements précâblés, les « cyberappartements ». La Corée compte aujourd’hui quelque 144 villes et plus de 10000 établissements scolaires raccordés. « La Corée du Sud est un pays très urbanisé, avec l’une des densités de population les plus fortes du monde – 70% de la population se concentre dans quatre villes. Câbler un immeuble revient à connecter plusieurs centaines de personnes en même temps à un moindre coût », remarque Yong S. Lee, de Thrunet, le premier opérateur à s’être lancé dans la fourniture d’accès en 1998, qui compte aujourd’hui 1,3 million d’abonnés.

Autre clé du succès de l’Internet haut débit en Corée du Sud: la concurrence. Si l’Etat a poussé Korea Telecom, l’opérateur public, à conquérir le marché du haut débit en faisant baisser les tarifs, il a aussi autorisé Hanaro, le deuxième opérateur privé, à construire son propre réseau de fibres optiques. Pour le consommateur coréen, c’est une bonne affaire: une installation ADSL coûte entre 15 et 30 euros; un abonnement, 24 euros, prix de base. Résultat: c’est l’explosion du nombre des PC Bang. En moins de deux ans, ces salles de jeux en réseau passent de quelques milliers à 25 000, dont 15 000 à Séoul. Dans ces salles, des centaines de joueurs s’affrontent en même temps sur le Net pour quelques euros l’heure. Mais Internet, c’est surtout un mode de vie pour un pays où plus de 50% de la population a moins de 30 ans. « Les Coréens s’adaptent très vite aux nouvelles technologies: ils veulent être les premiers à tester les nouveautés », souligne Lee Jaewoong, PDG de Daum.net, le premier site coréen, avec 40 millions de visiteurs par jour. Et ces consommateurs nouvelle génération sont boulimiques: films, produits éducatifs, musique, jeux… Selon la Mission économique de Séoul, la Corée possède un taux de conversion visite-achat parmi les plus élevés du monde: 48% des Coréens effectuent un achat lors d’une visite sur un site marchand. En 2001, les résultats de l’e-commerce étaient encourageants: 89,6 milliards d’euros, soit un bond de 93% par rapport à 2000.

Si un site Internet comme Daum.net enregistre 30 000 nouveaux venus par jour, les acteurs du marché sont conscients que le taux d’équipement et les heures passées sur le réseau vont, un jour ou l’autre, stagner. « Nous sommes presque parvenus au point de saturation, affirme Lee Jaewoong; à nous d’explorer toutes les possibilités d’Internet. » Notamment celles de l’Internet mobile. Les Coréens peuvent déjà, via leur téléphone portable, avoir accès à Internet. Sachant que 61% des Coréens possèdent un portable, soit 29 millions d’abonnés mobiles, ce sont autant de consommateurs potentiels pour des contenus multimédias de plus en plus élaborés et… chers. Mais un autre marché fait déjà rêver: celui des accès sans fil. Objectif: se connecter via son PC portable un peu partout… sans aucun branchement. D’après la Mission économique de Séoul, Korea Telecom est déjà sur le coup et prévoit d’investir 85,3 millions d’euros dans le déploiement de ce réseau révolutionnaire. La Corée du Sud n’est pas près d’abandonner sa place de n°1.

Julia Dion

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