Le grand chantier

Des baccalauréats et des masters, au lieu des candidatures et des licences : le processus dit de Bologne entend harmoniser et revaloriser les études supérieures en Europe

En septembre prochain, toutes les universités et hautes écoles auront ouvert la 1re année de baccalauréat. C’est le résultat du processus dit de Bologne, qui a pris la forme de plusieurs décrets votés, le 23 mars, au parlement de la Communauté française.  » Une réforme en profondeur « , pour Pierre de Maret, président du Conseil des recteurs francophones (Cref) et recteur de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Car, à l’avenir, pour une partie des jeunes, les études supérieures risquent d’être plus longues et, surtout, plus chères.

En 1999, à Bologne (Italie), les ministres de l’Enseignement de 29 Etats, rejoints par une dizaine d’autres entre-temps, se sont engagés à harmoniser les études supérieures, d’ici à 2010. Objectif : faciliter la transmission du savoir par une mobilité accrue des enseignants et des étudiants.  » La Belgique francophone avait pris du retard, remarque de Maret. Nos voisins avaient déjà basculé dans le nouveau système : la Flandre en 2003, les Pays-Bas en 2002, l’Allemagne dès 1998…  » La référence ? Le modèle britannique en deux cycles, le premier d’une durée de trois ans ; le second, de deux ans.

Nos régendats, graduats, candidatures et licences sont donc appelés à disparaître. La formation en trois ans, dispensée dans l’enseignement supérieur de type court, prendra l’appellation de baccalauréat professionnalisant. Dans les universités, les formations en cinq années des juristes ou des psychologues ne s’allongent pas, mais les deux années de candidature et les trois années de licence céderont la place à un baccalauréat en trois ans, qui servira de tremplin à un master en deux ans.

La nouveauté est plus sensible pour les études en quatre ans : dans les universités et les hautes écoles de type long, le baccalauréat en trois ans sera suivi d’un master d’une ou deux années, au choix. C’est le compromis trouvé entre la ministre Françoise Dupuis (PS), soucieuse de ne pas alourdir la facture pour les familles par une 5e année obligatoire, et les recteurs, qui craignent une dévalorisation rapide du master en quatre ans. Le master en cinq ans intégrera, en fait, les actuels DES (diplôme d’études spécialisées). Le cursus sera éventuellement poursuivi, comme actuellement, par un doctorat.

 » Mais Bologne a surtout été l’occasion d’une réflexion en profondeur sur nos programmes, nos méthodes d’enseignement ou d’évaluation, insiste de Maret. A l’avenir, il y aura moins de cours ex cathedra, plus de travail personnel, plus d’informatique, plus de langues, dans toutes les études.  » L’année académique est désormais concurrencée par les crédits européens transférables : ECTS ( European Credit Transfer System). Le baccalauréat correspondra à 180 crédits et le master, à 60 ou à 120. Un ECTS représente vingt-quatre heures de travail, dont douze heures de cours, par exemple.

Cette méthode de  » calcul « , qui prend aussi en considération les stages ou séjours à l’étranger, a été expérimentée dans le cadre des échanges Erasmus. Par une plus grande mobilité étudiante, Bologne veut préparer les diplômés au marché européen de l’emploi, améliorer la qualité académique et renforcer l’attrait de nos systèmes d’enseignement supérieur, par rapport aux campus américains ( lire p. 24). Après un baccalauréat réalisé dans l’université du pays, le must consistera à décrocher un master à l’étranger. Mais si de plus en plus de jeunes vont déserter nos auditoires, quels seront les arguments de nos universités pour attirer les bacheliers des autres pays ? Et comment éviter la dérive élitaire, en raison de bourses insuffisantes ? Dans ce but, nos neuf institutions, priées de se regrouper en trois académies autour des universités complètes, recevront 20 millions d’euros supplémentaires, d’ici à 2010. Un refinancement bienvenu, mais sans doute trop étriqué par rapport aux enjeux.

Jusque dans les années 1980, les universités européennes attiraient plus d’étudiants qu’elles n’en exportaient, rappelle Pierre de Maret, président du Cref et recteur de l’ULB. Mais, une décennie plus tard, la tendance s’est inversée, en faveur des Etats-Unis. Deux tiers des ingénieurs qui réalisent un doctorat sur les campus américains sont étrangers. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on estime que 50 % de la croissance économique des Etats-Unis est liée à la recherche et à l’innovation. Car, dans notre société de la connaissance, la matière grise remplace la matière première. Tout le monde en est conscient, mais on peine à dégager des moyens suffisants, pour attirer de bons étudiants, qui deviendront de bons chercheurs et de bons professeurs, qui attireront de bons étudiants : le cercle vertueux ! Les universités de la Communauté française ont de plus en plus de difficultés à se maintenir dans le peloton de tête. L’écart avec les Etats-Unis se creuse de manière inquiétante. Il se marque aussi par rapport à la Flandre. Le recteur de l’université de Liège (ULg) se plaint de perdre des chercheurs au profit de la KULeuven. Rien que pour les bibliothèques, le budget des campus flamands est deux fois supérieur au nôtre.  »

Un rapport établi par l’Association européenne de l’université, Trends 2003, les avancées de l’espace européen de l’enseignement, confirme le déséquilibre des flux entre les étudiants sortants et entrants : en 1999, selon l’OCDE, 28 000 jeunes Américains et Canadiens ont étudié dans un établissement de l’Union européenne (hormis la Grèce et le Portugal), pour 49 000 Européens qui ont fait le déplacement en sens inverse.

En Europe, la Grande-Bretagne apparaît comme le principal importateur d’étudiants au niveau mondial (voir le tableau ci-contre), suivi par l’Allemagne et la France. La Belgique accueille, quant à elle, 2 % des jeunes venus des quatre coins du monde et elle exporte 2,8 % d’étudiants. Plus précisément, dans les universités en Wallonie et à Bruxelles, les étudiants d’origine étrangère étaient, l’an dernier, 11 760, dont 60 % d’Européens. Mais, depuis quinze ans, le nombre des jeunes venant d’Afrique et plus encore d’Asie est en chute libre. D.K.

Dorothée Klein

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