Le garrot énergétique

Des sabotages ont provoqué une pénurie de gaz et d’électricité en Géorgie. Le Kremlin utilise l’arme de l’énergie pour maintenir son emprise sur l’espace ex-soviétique

A Tbilissi,  » il n’y a plus ni gaz ni chauffage, mais l’électricité fonctionne encore « , constate Vaja, directeur d’une école dans la capitale géorgienne. La plupart des universités, lycées et classes primaires resteront fermés, de façon à assurer l’approvisionnement des hôpitaux, tant que la Russie n’aura pas rétabli ses livraisons. Dans les appartements, la température est tombée à plusieurs degrés en dessous de zéro. Alors qu’une vague de froid intense, la pire depuis plusieurs décennies, sévit sur la région, au petit matin du 22 janvier, à vingt minutes d’intervalle, deux explosions en Ossétie du Nord (Fédération de Russie) ont endommagé le gazoduc Mozdok-Tbilissi, qui dessert la Géorgie et l’Arménie. La conduite de réserve, en partie détruite, serait irréparable. Le même jour, cette fois dans la république des Karatchaïs-Tcherkesses, une troisième explosion frappe la ligne à haute tension Kavkasioni, qui livre l’électricité russe à la Géorgie, ajoutant les coupures de courant à celles de gaz. Plusieurs heures s’écoulent avant que Moscou réagisse.

En attendant le gaz de la Caspienne

A son ordinaire, le président russe, Vladimir Poutine, stigmatise des  » actes terroristes « , sans prendre garde au fait qu’il avoue ainsi avoir perdu le contrôle sur le nord du Caucase. Pour leur part, les autorités géorgiennes tentent d’informer la population et de trouver des solutions. Le soir même, lors d’une intervention à la télévision, Mikheil Saakachvili, chef de l’Etat, qualifie la Russie de  » maître chanteur  » et l’accuse de  » sabotage « , non sans rappeler les menaces –  » On vous laissera sans chauffage et sans électricité  » – maintes fois proférées par des politiciens russes à l’encontre de Tbilissi. Et de souligner que l’objectif de Gazprom, division énergétique du Kremlin, est de s’emparer du réseau géorgien de gazoducs en usant de l’arme tarifaire pour parvenir à ses fins. En Ukraine, un scénario identique s’est soldé par un échec. Signe que les  » prix du marché  » ne sont qu’un prétexte, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, entités séparatistes de Géorgie, reçoivent gratuitement le gaz russe.

Vu de Moscou, il y a urgence. D’ici peu, Gazprom risque de perdre son emprise sur plusieurs pays qu’il tenait jusqu’ici à sa merci. Avant la fin de 2006, le gaz de la Caspienne, convoyé de Bakou à Erzurum via le South Caucasian Pipeline – un ouvrage jumeau de l’oléoduc Bakou-Ceyhan conçu par les stratèges de la géopolitique américaine – devrait atteindre la Géorgie et la Turquie, ouvrant ainsi une nouvelle source d’approvisionnement à des Etats du continent européen dépendant jusqu’à présent de l’énergie et des tuyaux russes. En février 2005, alors que la Géorgie envisageait de privatiser ses propres tubes, Gazprom était déjà sur les rangs. Les Etats-Unis sont intervenus pour inviter les dirigeants du pays à la prudence. Une partie de l’aide que Washington accorde à Tbilissi, soit 50 millions de dollars sur 295 millions, devrait être attribuée à la réhabilitation des gazoducs, à condition que la Géorgie s’engage à ne pas les privatiser avant 2010, selon les termes de l’accord signé en septembre 2005.

Pour autant, loin de s’avouer vaincu, le mastodonte russe agite la perspective d’un renchérissement des tarifs au printemps prochain, tant et si bien qu’à Tbilissi plusieurs officiels ont de nouveau évoqué ces jours-ci la cession du réseau géorgienà Cependant, à trop vouloir assujettir, Moscou risque surtout de pousser ses clients-otages dans la voie de la diversification énergétique. Certes, Gazprom peut encore empêcher la Géorgie de recevoir du gaz kazakh, mais cette capacité lui sera retirée à brève échéance.

Malgré ses liens privilégiés avec Moscou, l’Arménie a été alignée sur le sort de Tbilissi – 110 dollars les 1 000 mètres cubes au lieu des 56 dollars qu’elle payait auparavant, avec, il est vrai, un délai de grâce jusqu’au 1er avril prochain. La Russie voit d’un mauvais £il la construction du gazoduc Iran-Arménie, qui devrait être opérationnel d’ici à la mi-2007. En butte à de fortes pressions, Erevan accepterait déjà de lui vendre 45 % de ses parts dans cet ouvrage, compromettant ainsi l’un de ses rares atouts de souveraineté. C’est ainsi que Moscou édifie son statut de  » superpuissance énergétique « . l

Sylvaine Pasquier

Sylvaine Pasquier

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