Le futur commence à Masdar City

Recherche, politique et gros sous sont au cour du green business : plongée dans Masdar City, aux portes d’Abu Dhabi où la crème des experts mondiaux s’est réunie au World Future Energy Summit. Et qui se profile comme la Mecque du développement durable.

DE NOTRE ENVOYé SPéCIAL

Quelques semaines après les travaux de Copenhague qui ont fait l’objet de bien des commentaires désabusés, l’organisation du World Future Energy Summit, à Abu Dhabi, avait de quoi regonfler le moral de ceux qui s’investissent dans le créneau du développement durable. Entre les politiques énergétiques des Etats, le stockage du CO2, l’architecture durable, les transports, les différentes filières de production d’énergie, les mécanismes de financement vert mis en place par les banques et quelques cérémonies protocolaires, difficile de faire un choix objectif. Des phrases parfois plus fortes que d’autres ont marqué les esprits comme celle du charismatique président des îles Maldives – particulièrement concernées par le réchauffement climatique – martelant :  » The smartest money is green money  » (l’argent le plus malin est l’argent vert). Ou celle du ministre émirati de l’Energie – son pays tire l’essentiel de ses plantureuses ressources de l’exploitation du pétrole – reconnaissant que  » les énergies fossiles ne seront bientôt plus suffisantes pour assumer l’évolution prévisible de l’économie mondiale « .

Et c’est là que se trouve le c£ur de la démarche. Il ne faut pas se voiler la face : derrière les déclarations angélico-écolos et les intentions sincères se profile un enjeu économique phénoménal. S’il fallait résumer les choses en trois mots, ceux-ci seraient : recherche, politique et business. A chacun d’y mettre la part qu’il veut, mais il est certain que le dernier nommé occupe la première place du podium. Le renouvelable vient de passer un cap déterminant : désormais, les faiseurs d’affaires – dont beaucoup affichaient encore une moue méprisante il y a peu – ont bien capté le message et investissent des sommes colossales dans l’énergiquement correct.

A Abu Dhabi, cela a été parfaitement compris par la puissante société Masdar, organisatrice du sommet et fer de lance des Emirats arabes unis dans le domaine des énergies du futur. Appartenant au gouvernement d’Abu Dhabi et disposant de moyens à la mesure des recettes pétrolières, l’institution dirigée par l’omniprésent et redoutable Dr Sultan Ahmed Al Jaber £uvre aussi bien dans la recherche que dans le développement commercial et la création de fonds d’investissement. Masdar travaille la main dans la main avec les plus grands opérateurs internationaux. Pas étonnant, dès lors, de retrouver des noms comme Deutsche Bank, BP, ExxonMobil ou Siemens parmi les sponsors du sommet.

Le projet phare que le groupe est en train de développer aux portes d’Abu Dhabi est une ville du futur, fort opportunément nommée Masdar City, qui affiche l’ambition d’être la première ville du monde à neutralité carbone, capable de compenser ses émissions de gaz à effet de serre par le recours à des énergies renouvelables. Au programme : utilisation maximale du rayonnement solaire, consommation d’eau limitée, recyclage des eaux usées, séquestration du CO2 et autres moyens de transport propres. Outre l’Agence Irena et un institut postuniversitaire de niveau international ( voir ci-après), Masdar City hébergera des centaines d’entreprises actives dans le secteur, avec une population estimée de 40 000 habitants et autant de navetteurs quotidiens.

Si la visite du chantier ne permet pas encore de prendre la mesure de l’ensemble du projet, un quartier stratégique est en voie d’achèvement. C’est là notamment que se termine la construction du Masdar Institute of Science and Technology, un établissement postuniversitaire associé à son prestigieux grand frère du Massachusetts et qui accueillera bientôt quelques centaines de chercheurs triés sur le volet.

Dans les allées où des centaines d’ouvriers s’affairent, les ingénieurs luttent contre le calendrier qui prévoit l’ouverture du site en septembre. Un petit véhicule automatisé conçu aux Pays-Bas effectue un parcours de démonstration : ses stations de chargement seront alimentées par la seule énergie solaire. A un jet de caillou de l’Institut, le même soleil permet à des ingénieurs asiatiques de tester un prototype de mini-centrale à capteurs mobiles tandis que, dans une zone désertique plus éloignée, un impressionnant champ de panneaux photovoltaïques donne un aperçu de ce qui devrait représenter à terme une surface de 210 000 mètres carrés, excusez du peu !

Les  » nations unies du renouvelable  » ?

Dans un  » Indiscret  » récent (Le Vif/L’Express du 22 janvier), nous avons brièvement évoqué la mise en place, en marge du sommet d’Abu Dhabi, d’une nouvelle agence intergouvernementale appelée à jouer un rôle majeur dans le développement concerté des énergies renouvelables. Baptisée Irena (Institut international des énergies renouvelables), elle est en cours de formation, mais 142 Etats ont déjà adhéré à ses statuts.

Abu Dhabi a obtenu que l’Agence s’installe au c£ur de Masdar City : un camouflet pour Bonn – à l’origine du projet – qui briguait le siège. Actuellement dirigée par Hélène Pelosse, ex-directrice de cabinet adjointe du ministre français de l’Ecologie Jean-Louis Borloo, l’Agence s’est donné pour mission d’être un moteur à l’échelle de la planète pour la promotion des énergies renouvelables. Elle doit, pour ce faire, identifier tous les partenaires utiles – institutions publiques, gouvernements, associations, centres de recherche, universités, entreprises, etc. – pour regrouper les savoirs, les partager et favoriser les collaborations. Un vaste programme qui se double d’un rôle de facilitateur pour le développement de solutions concrètes dans l’ensemble des filières énergétiques.

Cette ambition a bien sûr un coût et, en attendant de pouvoir commencer à collecter les cotisations de ses membres, l’Agence s’est fixé un budget de 13,7 millions de dollars pour créer un réseau d’experts. On se bouscule déjà au portillon et, sans qu’il y ait eu jusqu’ici sollicitation des milieux concernés, plus de 500 candidatures ont abouti au siège provisoire de l’Agence à Abu Dhabi. Parmi elles, 40 % émanent de femmes. De quoi réjouir la directrice qui a annoncé durant le sommet son souhait de sélectionner une moitié de collaborateurs dans les rangs du beau sexe !

Le développement durable est une affaire d’hommes et de femmes.

FRANCIS GROFF; F.G.

on se bouscule déjà au portillon

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