Le FDF se rêve au centre du jeu

Unanimement détestées en Flandre, les troupes d’Olivier Maingain n’hésitent jamais à remettre un peu d’huile sur le feu communautaire. Mais le FDF pourrait bien sortir renforcé de ces élections anticipées. Reportage au cour d’un petit parti qui a réussi à se rendre incontournable.

Olivier Maingain la sent bien, cette campagne.  » Les marques de soutien sont nombreuses, plus que lors des élections précédentes « , se réjouit le président du FDF, tête de liste MR à Bruxelles. La figure de proue du radicalisme francophone enchaîne les meetings, distribue des tracts à tire-larigot, multiplie les soirées Tupperware, jusqu’à trois par soir.  » Je n’ai jamais été autant invité. Hier, il y avait presque quarante personnes. On a discuté jusqu’à minuit.  » Cela ne l’a pas empêché de se lever de bonne heure, ce mardi matin, pour arpenter le marché de la place Dailly, à Schaerbeek, accompagné par le bourgmestre FDF de la commune, Bernard Clerfayt. Sur ses terres, le secrétaire d’Etat (démissionnaire) à la Lutte contre la fraude fiscale n’éprouve aucune peine à alpaguer les badauds.  » Vous allez bien ? Vous connaissez Monsieur Maingain ? Prenez son petit carton ! Vous pouvez voter pour lui et pour moi. « 

Les passants interpellent Olivier Maingain sur le manque de crèches, les problèmes de stationnement… Perçoit-il de l’hostilité vis-à-vis du monde politique ?  » Je ne suis pas un bon baromètre. Les gens qui n’aiment pas le FDF s’écartent dès qu’ils me voient. Mais, tout de même, je trouve les électeurs bien au fait de l’enjeu. Ils sont conscients que ce pays se trouve à un tournant et qu’il faut clarifier les relations entre les Communautés. « 

Blocage autour du dossier BHV, ultimatum de l’Open VLD, chute du gouvernement fédéral, élections anticipées… Le scrutin du 13 juin a pris un tour très communautaire, potentiellement favorable aux Fédéralistes démocrates francophones (FDF). Le parti présente deux candidats au Sénat, Didier Gosuin et Fatoumata Sidibé, et douze à la Chambre, dans la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Leurs scores personnels seront scrutés avec attention au soir des élections. Un raz de marée amarante conforterait Olivier Maingain dans les rapports de force internes au MR. Il entraînerait aussi, de facto, une radicalisation de tous les partis francophones.

Le théâtre des opérations ? Les 19 communes de la Région bruxelloise, mais aussi les 35 communes du Brabant flamand qui font partie de BHV. Beaucoup d’entre elles comprennent une importante minorité francophone. A Rhode-Saint-Genèse, une commune à facilités, les francophones représenteraient près de 65 % des 18 000 habitants.  » Et ça n’arrête pas d’augmenter « , note avec délectation l’échevin FDF Eric Libert. Pour le reste, Rhode est une verte bourgade sans histoires, dans le top 10 des communes les plus riches de Belgique.

 » La fermeté francophone « 

En cette belle matinée printanière, les oiseaux pépient dans les bois… et le grondement sourd causé par le flot incessant des voitures sature l’air. Eric Libert vient de garer sa Mercedes sport noire au carrefour de l’avenue de la Forêt de Soignes et de la chaussée de Waterloo. Il extrait de son coffre deux panneaux en carton à son effigie, barrés du leitmotiv  » La fermeté francophone « , et s’en va les poser de chaque côté de la route, contre les poteaux des feux rouges (peints en jaune et noir, comme dans toute la Région flamande). Trois, deux, un, parti ! Le candidat slalome entre les voitures à l’arrêt, tend ses tracts à la volée, décoche quelques brefs slogans aux navetteurs, et rejoint le trottoir en courant dès que le feu passe au vert.  » Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, prévient-il. D’habitude, après un certain temps, la police est prévenue. Elle voit d’un mauvais £il la distribution de tracts sur la voie publique.  » Avec son pull entre fuchsia et amarante, Eric Libert porte sur lui les couleurs du FDF. Le stade ultime de la communication politique. Les automobilistes lui réservent pour la plupart un bon accueil. Rhode-Saint-Genèse n’est pourtant pas un bastion FDF. Les affiches de la bourgmestre CDH Myriam Delacroix sont ultra-majoritaires sur le territoire de la commune. Eric Libert n’en a cure.  » Myriam Delacroix ? Aucune fermeté ! « 

La Chevalerie, superbe manège en bordure de la forêt de Soignes, accueille le soir même un débat entre Eric Libert et deux autres candidats de la périphérie, Marco Schetgen (PS) et André Péters (Ecolo).  » Pour le bon déroulement de cet événement, un service de sécurité sera mis en place afin d’éviter tout incident « , avertit un écriteau à l’entrée. Au club-house, d’où on aperçoit l’imposante piste intérieure de 80 mètres sur 30, le décor est cossu : carrelage, lustres en cristal, dorures au plafond, tentures turquoise. Face à un public clairsemé, à peine une vingtaine de personnes, les trois orateurs se rejoignent sur l’essentiel. Le débat prend vite l’allure d’un long inventaire de toutes les avanies que la Région flamande fait subir aux francophones.

La discussion se corse lorsque intervient le seul néerlandophone présent dans la salle, dans un français impeccable, mais sur un ton hargneux.  » Ce qui m’étonne, Monsieur Libert, c’est que vous parlez d’élargir la Région bruxelloise, mais pas vers Waterloo, La Hulpe et Braine-l’Alleud. En 1963, quand le ministre de l’Interieur Arthur Gilson a envisagé de donner des facilités aux néerlandophones de ces trois communes-là, le FDF a tout fait pour s’y opposer !  »  » Je le connais, celui-là, c’est un modéré. Si, si, je vous assure « , ironise un vieux monsieur, au troisième rang. Ambiance…

 » Faisons grandir Bruxelles « 

Curieusement, l’intransigeance francophone et le ressentiment flamand découlent d’un même constat : la langue française, tel un rouleau compresseur, ne cesse de grappiller du terrain dans le Brabant flamand. En 1910, la proportion de néerlandophones dépassait encore les 60 % dans 11 des 19 communes de l’actuelle Région bruxelloise. Lors du recensement linguistique de 1947, les six communes à facilités de la périphérie (Rhode-Saint-Genèse, Wemmel, Drogenbos, Linkebeek, Crainhem et Wezembeek-Oppem), aujourd’hui très largement francisées, étaient toutes à majorité flamande. Dans le reste de la province, la francisation se poursuit : entre les élections communales de 2000 et celles de 2006, les listes francophones sont passées de 16,1 à 19,7 % à Zaventem, de 16,8 à 20,7 % à Tervuren, de 17,3 à 21,1 % à Leeuw-Saint-Pierre.

Endiguer la  » tache d’huile  » francophone est un combat légitime, en déduisent les Flamands. Adaptons les limites de la Région bruxelloise à la nouvelle donne démographique, soutiennent au contraire les francophones. La Flandre, unanime, a beau répéter que la remise en cause de la frontière linguistique envenime le dialogue Nord-Sud, le FDF en a fait l’un des axes centraux de sa campagne.  » Faisons grandir Bruxelles  » : le slogan choisi par Corinne François, jeune échevine de Drogenbos et 2e suppléante à Bruxelles-Hal-Vilvorde, reflète toute l’obstination du FDF en la matière. Ce mercredi soir, accompagnée de six amies, toutes vêtues du même tee-shirt rose vif, elle parcourt les allées du marché (huppé) de la place du Châtelain, à Ixelles.  » Le public ici est plutôt MR, c’est clair « , relève-t-elle. Avec un enthousiasme communicatif, la bande des sept nanas FDF distribue les tracts de leur championne aux jeunes qui boivent de la Vedett en canette, ou à leurs aînés, qui préfèrent le vin blanc en gobelet.

 » Je ne vois pas pourquoi l’élargissement de Bruxelles serait onbespreekbaar, argumente Corinne François. Si les Flamands veulent plus d’autonomie, ils doivent pouvoir entendre nos revendications.  » Se sent-elle bruxelloise ?  » Ah oui, complètement. Je serais incapable de me dire wallonne ou flamande. D’ailleurs, tous les francophones de Drogenbos se sentent bruxellois.  » Pour autant, tous ne cautionnent pas la stratégie de la confrontation du FDF. Aux élections communales de 2006, la création d’une liste Union des francophones, emmenée par Corinne François, avait signifié l’irruption des tensions communautaires à Drogenbos, une commune jusque-là relativement épargnée. Avec un relatif succès à la clé : 41 % des voix, nettement plus que les 12 % de la liste néerlandophone Accent. A ces deux listes unilingues, la quasi-majorité des électeurs (47 %) ont néanmoins préféré la liste bilingue Drogenbos Plus, du bourgmestre Alexis Calmeyn.

Crainhem est, avec Linkebeek, la seule commune de la périphérie dirigée par un bourgmestre FDF, Arnold d’Oreye de Lantremange. Cet homme distingué est devenu malgré lui l’un des héros de la  » résistance  » francophone, suite à sa non-nomination par la tutelle flamande. Sa faute ? Une partie des convocations électorales envoyées à ses habitants étaient rédigées en français, ce qui viole la circulaire Peeters.

 » Je devrais remercier les Flamands « , se moque le bourgmestre. La notoriété acquise dans l’aventure le dispense de courir les meetings. Pour ces élections, tout juste enverra-t-il un courrier aux habitants de Crainhem. Ce jeudi soir, une dizaine de militants ont rendez-vous à son domicile. Du véritable travail à la chaîne les attend. Certains sont chargés de plier les 750 tracts, d’autres les insèrent dans les enveloppes, sur lesquelles un troisième groupe écrit les adresses, à la main.  » Je trouve que ça personnalise les envois. Comme si les gens recevaient une vraie lettre… « , justifie Arnold d’Oreye, qui a débouché une bonne bouteille de haut-médoc, histoire de motiver ses troupes.

 » Les Flamands ont de la méthode « 

Tout en pliant les courriers, le vice-président de la section locale, Alain Van Herck, raconte son adhésion au FDF.  » Au départ, j’étais moins radical. Ou plutôt, moins conscientisé. En fait, tant qu’on ne s’implique pas dans la vie associative, on n’a aucun problème. J’ai ouvert les yeux en 1993, quand j’ai organisé un jogging. Delhaize sponsorisait la course. Résultat : des activistes du TAK ont déversé une montagne de purin sur le parking du supermarché. Les initiatives francophones sont systématiquement sabotées… « 

Arnold d’Oreye enchaîne en évoquant une décision récente, qui impose aux bourgmestres de broder l’écusson du Lion des Flandres sur leur écharpe mayorale.  » Ils peuvent toujours danser ! Mais il faut reconnaître que les Flamands ont de la méthode… Tous les détails sont soignés. « 

Nouvelle génération

L’attitude ultrapointilleuse du FDF ne sabote-t-elle pas toute tentative de pacifier la Belgique ? Sans les tensions communautaires, le parti garderait-il une raison d’être ?  » Oui, car nous sommes des réformateurs sociaux « , assure Olivier Maingain. Dans les années 1970, le FDF s’est saisi avant les autres des enjeux urbains et écologiques. Ces dernières années, il a su attirer de nombreux jeunes issus de l’immigration, alors que le MR éprouve toutes les peines du monde à s’enraciner dans les couches populaires. La Schaerbeekoise Fanane Azmi (32 ans) est l’une des représentantes de cette nouvelle génération amarante. Le déclic de son engagement ? Les lois linguistiques à Bruxelles, et les exigences de bilinguisme, jugées démesurées, qui empêchent de nombreux jeunes de trouver un travail.  » J’entends de plus en plus de discours antiflamands, nuance-t-elle toutefois. Cela me blesse. Quand j’étais adolescente, je me faisais traiter de bougnoule par un voisin raciste. Je n’accepterai jamais qu’on insulte quelqu’un parce qu’il est différent.  » Signe de son ouverture : elle a inscrit son fils dans une école néerlandophone.

FRANçOIS BRABANT

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