Le déménagement, c’est maintenant !

Même s’il est difficilement chiffrable, l’exil des fortunes françaises pour des raisons fiscales s’accroît avec les mesures annoncées par le gouvernement Ayrault. Cependant, les modifications répétées de la législation sur les impôts ces dernières années et un certain ostracisme à l’égard des riches ont préparé le mouvement.

C’est officiel : Lindsay Owen-Jones, retraité de L’Oréal, vient de s’installer à Lugano, en Suisse italienne. Pour sa part, Gilles Pélisson, ex-PDG d’Accor, a choisi de s’exiler en Belgique. Hugues Taittinger encore, héritier de la célèbre dynastie champenoise, a endossé cet été la nationalité belge, quelques semaines avant que le patron de LVMH, Bernard Arnault, confirme avoir entrepris la même démarche et provoque un tollé. Pour ces personnalités, le déménagement, c’est maintenant (ou presque) !

Combien sont-ils ainsi cha- que année à sauter le pas ? Environ 800, s’accordent à dire l’administration française et les experts.  » Difficile, en réalité, de mesurer précisément l’ampleur du phénomène, explique Gilles Carrez, président (UMP) de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Pourtant, nous aurions besoin d’un travail objectif. « 

En attendant, chacun doit se contenter d’informations  » impressionnistes « , selon son propre mot. Celles qui remontent du terrain, des notaires et des gestionnaires de fortune, des agents immobiliers et des avocats fiscalistes. Or ces professionnels – aux premières loges – sont unanimes : de plus en plus de contribuables sont inquiets et s’interrogent.  » Depuis 2010 déjà, nous étions davantage sollicités. Mais l’exaspération va grandissant « , relève Philippe Bruneau, président-fondateur du Cercle des fiscalistes.  » Depuis sept à huit mois, nous avons dû faire face à autant de demandes de renseignements qu’en trois ans !  » précise le notaire Bernard Monassier, conseiller des Dassault et de plusieurs autres grandes familles françaises.

Le malaise est là.  » Un mal français « , dixit Jean-Sébastien Dumont, du cabinet Nixon Peabody. Et si la majorité des contribuables choisissent encore de demeurer dans l’Hexagone – utilisant l’arsenal réglementaire le plus sophistiqué pour réduire leurs impôts -, d’autres n’hésitent plus, à présent, à s’installer sous des cieux plus cléments ( voir page 58).

 » Deux tiers du Code général des impôts ont été récrits « 

Dès mars 2011, dans un rapport  » strictement confidentiel  » transmis à l’Elysée, que nous avons pu nous procurer, 42 avocats, issus de cabinets parisiens, s’alarmaient de ce mouvement. Les résultats de leur enquête sont éloquents : 85 % de leurs clients, candidats à l’expatriation, reconnaissaient vouloir d’abord  » se soustraire à une pression fiscale excessive « . Depuis, les surenchères de campagne électorale, notamment l’annonce d’une taxe de 75 % sur les très hauts revenus, ont eu un effet psychologique dévastateur.

Les  » partants  » ne se plaignent pas seulement d’être essorés. Ils se sentent exclus. Victimes, soutiennent-ils, d’un certain ostracisme à l’égard des  » riches  » et, au-delà, de  » ceux qui réussissent « . Ils déplorent aussi l’insécurité fiscale.  » Nous avons subi cinq lois de finances rien qu’en 2011 et déjà trois en 2012. En trois ans, environ deux tiers du Code général des impôts ont été récrits. Cette instabilité est devenue insupportable pour nombre de clients « , souligne Sandra Hazan, du cabinet Salans.

Bref, pour beaucoup, la coupe est pleine. Le constat est d’autant plus préoccupant que le profil des candidats au départ se démocratise.  » L’âge et la taille du patrimoine des exilés fiscaux, qui sont dorénavant principalement des actifs, tendent à diminuer significativement « , concluait le rapport des 42 avocats. Créateurs de start-up, patrons de PME exportatrices ou hauts cadres dirigeants, souvent polyglottes et globe-trotteurs, mettent plus facilement leur projet à exécution. Et le phénomène tendra à s’amplifier, du moins tant que les Etats se livreront à une concurrence fiscaleà

BRUNO ABESCAT

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