LE DÉFICIT STRATÉGIQUE DE BARACK OBAMA

Par-delà ses nombreux rebondissements, et ses imprévisibles développements, la crise syrienne jette une lumière crue sur l’enracinement planétaire du sentiment antiaméricain. Au point que cette donnée devient en elle-même un des moteurs les plus polluants des relations internationales : après avoir suscité un rejet aussi massif que disparate, les Etats-Unis ont tout le loisir de constater dans quelle proportion ils font l’objet d’une opposition froide, dont Moscou a pris le leadership. Le refus de l’ingérence américaine sur un théâtre d’opérations précis parvient à souder entre elles des nations qui n’ont d’autres intérêts en commun que de voir l’hyperpuissance reculer, subir des affronts, montrer ses craintes, avouer ses limites. La Syrie est en train d’exposer de façon éclatante aux yeux du monde que la  » république impériale  » à vocation messianique a considérablement rétréci et, surtout, que son ambition change de portée – même si ses capacités militaires demeurent absolument inégalées – sans qu’une doctrine stable ait été claire-ment formulée en ce sens.

Le désengagement terrestre de Barack Obama, en Irak comme en Afghanistan, s’est en effet accompagné d’une suractivité en matière de stratégie furtive, ce que les experts de la Maison-Blanche nomment  » light footprint strategy « . Qu’il s’agisse de cyberguerre, d’intensification du renseignement, des nombreuses frappes meurtrières effectuées au moyen de drones très précis, on ne peut pas soutenir que l’Amérique ait baissé la garde ; elle a, au contraire, fortement amplifié ses interventions  » invisibles « . C’est là une rupture importante. Or, l’hégémonie américaine était traditionnellement fondée sur des concepts, élaborés et discutés : le containment (endiguement) contre l’URSS, dans les années 1950 ; la riposte graduée de Robert McNamara, dans les années 1960 ; la  » révolution dans les affaires militaires  » de Donald Rumsfeld, dans les années 1980… Barack Obama, lui, avance sans théorie, donc sans débat : c’est la raison pour laquelle ses interventions  » visibles « , comme ce serait le cas en Syrie, doivent passer par le tamis du Congrès pour sortir du secret présidentiel. Toute sa ligne d’invisibilité est soudain prise en défaut et condamnée à être exposée au grand jour : qu’il s’agisse de l’affaire Snowden ou de l’intervention en Syrie, son impréparation devient manifeste, ce dont Vladimir Poutine se sert avec dextérité (jusqu’ici), annulant tous les espoirs de reset (relance) entre Moscou et Washington, fantasme des Obama boys.

Ce jeu pervers entre les deux puissances accroît sensiblement les stigmates du monde  » apolaire  » dans lequel nous vivons, un monde dont les repères sont à ce point ébranlés qu’il se rebelle dès qu’une forme de leadership tend à se manifester, tandis qu’il admet les monstruosités de la guerre comme une fatalité liée au désordre normal des affaires internationales. Les massacres en Syrie n’ont jamais soulevé autant d’indignation que n’en provoque l’idée d’intervenir en Syrie.

Sans doute est-ce l’effet des années Bush, de la vision simplificatrice des néoconservateurs, du cuisant échec irakien, du bourbier afghan, etc. On sait tout cela et on peut même remonter plus loin : la CIA vient à peine de reconnaître son implication directe dans le renversement de l’ancien Premier ministre iranien, Mohammad Mossadegh, le 18 août 1953, soit soixante ans après les faits… Mais entre une collection d’erreurs passées et la transformation des échecs américains en véritable slogan du bloc antagoniste aux Etats-Unis, il y a un espace que Vladimir Poutine a investi sans états d’âme. Le dirigeant russe, lui, a une théorie et il s’y tient : il estime qu’entretenir de bons rapports avec Washington, objectif poursuivi par Boris Eltsine et illusion entretenue par Dmitri Medvedev, est bien plus néfaste que profitable à la Russie. C’est à cette impasse qu’Obama est confronté aujourd’hui, par-delà la Syrie, avec l’obligation d’en sortir.

par Christian Makarian

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