Le courage d’être

Critique de l’existence capitaliste – Pour une éthique existentielle de l’économie, éd. du Cerf, 209 pages. Christian Arnsperger, économiste attaché à la chaire Hoover d’éthique économique et sociale, enseigne à l’UCL.

Que fait de nous le système économique actuel ? A peu près ce qu’il veut. Est-ce acceptable ? Certains se rebellent. Beaucoup consentent, mais vivent-ils pour autant une existence que l’on peut encore qualifier d’humaine : la réussite professionnelle suffit-elle à donner du sens à la vie ? Lorsque l’on est jeune, beau, nanti et en bonne santé, on peut le penser. Mais la vigueur juvénile n’a qu’un temps. La santé n’est qu’un état précaire qui ne présage rien de bon. Et nul n’est à l’abri d’un coup du sort… De quelle ressource spirituelle disposons-nous alors pour affronter l’infortune ? Prospères ou pauvres, nous sommes tous confrontés aux mêmes finitudes : l’inaccessibilité d’autrui, nos limites mentales et physiques, la mort. La nôtre et celle de ceux que nous aimons.

Pour calmer l’angoisse existentielle que nourrissent ces frontières, chaque société a sa recette. Le capitalisme a la sienne : il nous propose – nous impose même… – d’être compétents et, donc, employables afin de nous enrichir. Nous considérons volontiers que, si nous le voulons, si nous donnons le meilleur de nous-mêmes, nous pouvons nous en sortir, rafler la mise : en route, donc, pour la guerre de la compétitivité ! Serait-ce ce consentement futile qui rend la logique actuelle si tenace ? Nous nous appliquons à bien agir dans le domaine économique non pas parce que nous donnons de la valeur à la performance, mais parce que celle-ci tient lieu de remède à notre détresse. Ce que nous affirmons aller faire dans la production – obtenir la capacité de consommer des marchandises – n’est donc pas ce que nous y faisons vraiment : tenter d’apaiser notre anxiété.

A partir de ce constat d’aliénation, Christian Arnsperger suggère que l’accent mis sur les moyens matériels d’existence dans les sociétés de marché, si égalitaires soient-elles, est sans issue. Même si chacun détient le même patrimoine, personne, dit-il, ne voudra renoncer à avoir plus. Insatiable, notre envie de posséder fait tôt ou tard resurgir, dans notre monde fini, la question fondamentale que la quête de la prospérité entendait précisément éliminer : comment accepter nos limites ?  » Il est rigoureusement impossible, soutient Arnsperger, dans une société de concurrence, que tout le monde soit à la fois plus riche, plus heureux et moins angoissé.  » Bref, pas de société juste dans cette voie : impossible de soulager la peur sans nuire à autrui…

Cette impasse laisserait ainsi intacte la nécessité de recourir à des ressources spirituelles pour soulager l’angoisse de la finitude. Quelle invitation nous est ainsi lancée ? Celle de nous libérer de nos supposés besoins, bien sûr. Mais celle aussi de renouer avec les ressources philosophiques qui, comme les religions et les spiritualités établies et confirmées, prennent vraiment au sérieux l’anxiété de l’homme et son désir d’être sauvé. Si la capacité de rébellion contre les barbaries du système capitaliste doit être recherchée dans cette voie, c’est une révolution intérieure qui nous est proposée là. Quelque chose de l’ordre de la transmutation alchimique. îuvre au noir ou conversion religieuse…

de jean sloover

Nous vivons de l’économie. Nous vivons dans l’économie. L’économie vit en nous…

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