Le côté obscur de la force

Pour déloger les milices djihadistes qui asservissent le nord du pays, le déploiement d’un contingent ouest-africain sous mandat onusien se profile à l’horizon. Mais il lui faudra clarifier sa mission et emprunter un chemin semé d’embûches.

Enfin, les difficultés commencentà  » Vue du Mali, la vieille formule n’a pas pris une ride. Bien sûr, en requérant, le 23 septembre, l’aval des Nations unies au déploiement d’une force aux couleurs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), censée épauler la reconquête des deux tiers nord du pays, asservis par une alliance de phalanges djihadistes, Bamako s’est résigné à lever une hypothèque (voir Le Vif/L’Express du 28/09/2012). Mais que de temps perdu ! Les atermoiements de l’exécutif  » légal « , miné par les dissensions et tétanisé par les diktats du capitaine putschiste Amadou Sanogo, tombeur en mars dernier du président élu Amadou Toumani Touré, ont permis à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et à ses associés de consolider leur étouffante emprise. Et maintes chausse-trapes guettent la très virtuelle Mission de la Cedeao au Mali, ou Micema. Revue de détail et de paquetage.

S’il y a urgence, la mécanique onusienne reste une longue patience. Convoquer une session du Conseil de sécurité, discuter et voter une résolution, endossée de préférence par l’Union africaine : voilà qui prendra au mieux trois ou quatre semaines. A condition d’y rallier la Russie et la Chine. Voire, écueil plus inattendu, les Etats-Unis. Enclin à sous-traiter le bourbier sahélien à la France, Washington souhaite doter le pouvoir malien – ou ce qui en tient lieu – d’une légitimité électorale avant l’amorce de la reconquista. Prologue insolite : comment organiser un scrutin digne de ce nom dans une nation coupée en deux ? Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon préconise quant à lui de n’envisager l’option militaire qu’avec une  » extrême prudence « , au regard du désastre humanitaire qu’il risque de hâter. Ses services réclament d’ailleurs au tandem Bamako-Cedeao des précisions quant aux modalités et au coût d’un dispositif aux contours des plus flous. Lesquelles modalités seront disséquées dans un  » mémorandum d’entente « . Le diable, on le sait, se niche dans les détails. Mais il y a pire : on en est encore à définir le  » concept stratégique  » de l’opération. En clair, et dans le meilleur des cas, le contingent ouest-africain amorcera au premier trimestre 2013 un déploiement qualifié de  » graduel « , précédé de deux phases préparatoires : la protection des institutions  » légales  » et la restructuration de l’armée locale. Vaste programmeà

Déjà affleure une autre embûche. La Cedeao sera-t-elle capable de fournir cinq bataillons – soit 3 100 hommes – assez aguerris pour traquer, débusquer et déloger, en terrain aride et hostile, un ennemi mobile, familier du désert et de ses pièges, et avide à l’en croire d’en découdre ? La nébuleuse salafiste, qui puise dans le vivier des jeunes dés£uvrés et attire en son sanctuaire des cohortes de volontaires négro-africains, maghrébins, arabes ou pakistanais, peut aligner 6 000 combattants et supplétifs.  » Les terroristes, lâche, à Bamako, un ponte du ministère de la Défense, n’ont pas peur de la mort. Or, chez nous, on ne s’engage pas sous les drapeaux pour mourir.  » Autant dire que le scénario de l’enlisement – ou de l’ensablement – n’a rien de fantaisiste ; même si les Touareg rescapés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), évincés du Nord par leurs  » alliés  » djihadistes, voire à terme leurs cousins islamistes d’Ansar ed-Dine, peuvent un jour troquer leur ralliement contre la garantie d’une autonomie future. Une certitude : les pays candidats ne se bousculent guère. Pas plus que les soldats  » frères  » prêts à périr pour Tombouctou. Seuls le Niger, le Nigeria, le Togo, le Sénégal et le Ghana garniront les rangs des bataillons, tandis que le Bénin et le Burkina Faso promettent de peupler des unités de police. En revanche, la Côte d’Ivoire, fragilisée par des ferments d’instabilité interne, n’en sera pas. Les renforts pressentis hors Cedeao ? La Mauritanie s’abstiendra. Alors que les Tchadiens, combattants du désert et virtuoses du rezzou, s’y colleront sans doute, moyennant de robustes contreparties. A Alger, on £uvre dans l’ombre à une issue négociée, histoire de prendre de court un dispositif réprouvé.  » Un tel règlement n’anéantirait pas le péril terroriste, grince un haut gradé français, mais aurait le mérite de le contenir hors des frontières algériennes.  » L’£il rivé sur l’échéance présidentielle de 2014, terme de son règne, Abdelaziz Bouteflika ne veut à aucun prix raviver d’ici là un foyer djihadiste domestique.

Soyons fous. Imaginons que l’assemblage et l’acheminement de la Micema se fassent sans accroc. Reste à forger une chaîne de commandement efficace. Pas gagné : en la matière, l’état-major pléthorique, rançon d’un subtil dosage entre contributeurs, dessine le chemin le plus court vers l’inertie. L’obstacle suivant est autant protocolaire qu’opérationnel. Meurtri par sa débâcle du printemps, le Mali prétend mener la contre-offensive avec l' » appui  » de la Micema. Primauté illusoire au regard de l’état de délitement d’une armée rongée par les rivalités claniques et que la rue abreuve de sarcasmes.  » Il n’y a qu’ici qu’on trouve un colonel incapable d’écrire son nom « , ironise un Bamakois.

La Micema devra conquérir les c£urs

Quant aux milices patriotiques, apparues voilà peu, elles pèsent d’un poids dérisoire sur l’échiquier militaire : on y apprend à démonter les fusils, sans jamais tirer la moindre balle, faute de munitions. Le 1er septembre, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) a ainsi conquis sans coup férir Douentza, ville  » protégée  » par les volontaires de Ganda-Izo. Pour ménager l’orgueil national blessé, la Cedeao a consenti à n’établir à Bamako que son QG opérationnel et un  » pool logistique « . Et à stationner sa troupe à Sévaré ou à Koulikoro, soit à bonne distance de la capitale. De Bamako à Mopti, via Ségou, dans ce Sud où l’influence des imams et des marabouts ne cesse de croître, la Micema devra s’employer à conquérir les c£urs, à commencer par ceux des déplacés accourus du Nord. Car ceux-ci craignent pour la vie des parents et des amis restés là-haut, dont beaucoup ont rallié la légion islamiste par peur, par opportunisme ou pour demeurer sur leurs terres.

Dans les villes que les fanas de la charia ont plongées dans une nuit sans lune, tout est proscrit : le sport, la musique  » impie « , la baignade, le flirt et la cigarette. Le tabac y a d’ailleurs gagné un nom de code :  » paracétamol « . Un antalgique dont la Micema et ses chefs auront bien besoin le moment venu, tant leur tâche tient du casse-tête. Fièvres et maux de crâne garantis.

VINCENT HUGEUX, AVEC DOROTHÉE THIÉNOT

La Cedeao sera-t-elle capable de fournir 3 100 hommes assez aguerris pour traquer un ennemi mobile, familier du désert ?

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