Le coq et la perle

Un double conte de fées d’amère philosophie, exhumée des écrits de Victor Hugo par Jean-Marie Villégier au Théâtre national: Les Deux Trouvailles de Gallus

Jean-Marie Villégier est un explorateur précieux du théâtre classique et de l’opéra baroque, et sa trilogie cornélienne réalisée à Bruxelles à l’invitation du Théâtre national a laissé des souvenirs tenaces. Le metteur en scène français nous est revenu avec un choix inattendu: Hugo, le vénérable ! Non pas le Victor de Ruy Blas, Lucrèce Borgia ou autres Marie Tudor, celui qui ruait avec la flamboyance de sa jeunesse romantique, mais un homme qui songeait à l’autre versant de la vie, dans son exil de Guernesey. Ne l’imaginez pas méditant face à l’océan, mais encrant des monceaux de pages, classées, éditées, mais aussi incomplètes, esquissées, mêlant poèmes, romans, comédies et drames. Ainsi, ces Deux Trouvailles de Gallus, connus de quelques seuls grands fouineurs, parce que sertis dans un recueil de poèmes, Les Quatre Vents de l’esprit.

Comme pour Mangeront-ils?, autre pièce de l’exil, dont Benno Besson vient de nous donner une vision brillante à Namur, Les Deux Trouvailles de Gallus ont l’insolence des contes de fées – peu roses -, d’un esprit rebelle et amer, mais qui manifeste encore une folle envie de jouer avec la scène, avec le vers, même déboussolé, étiré en tous sens. Il y a de la matière à se mettre en bouche, à bousculer l’esprit! On comprend que Jean-Marie Villégier et son collaborateur Jonathan Duverger aient voulu malaxer les deux trouvailles en question du sieur Gallus – deux actes, en l’occurrence, nommés respectivement Margarita et Eska. Des noms étranges? Non, si l’on se souvient que Gallus signifie coq, comme dans la fable reprise par La Fontaine, et que ce coq-là, cherchant un grain à grignoter, trouve une perle, donc immangeable. Voilà pour la première trouvaille. La seconde pourrait lui mettre sous la dent une Lison bonne graine… Las! Le roi Gallus la façonne en … perle, et l’aime en admiration secrète! Orgueil, ironie, déchéance… et suicide de la belle.

Sur cette double trame se greffent une farce paysanne (avec un excellent Alfredo Can ~avate en savoureux fermier qui casse la croûte, pain et saucisson plein la bouche, tout en distillant sa vision du mariage en alexandrins!), un dialogue philosophique sur l’art d’aimer et de le dire, de le vivre ou de le taire…, une des scènes les plus denses et émouvantes par l’art, la présence de Jean-Pierre Bodson (l’âme damnée de Gallus) et de Christian Crahay (Gallus, libertin fragile, virtuose d’un nombre impressionnant d’alexandrins!). L’on reste plus sceptique sur l’insert kitsch de la comédie musicale voulu par Villégier, même si Offenbach n’a rien d’anachronique.

De-ci de-là, Victor Hugo lance une oeillade à son propre passé d’écrivain de mélodrames (la bague empoisonnée), à son obsession shakespearienne du grotesque et du sublime (le nain à la barbe noire et aux boucles blondes), au couple roi et bouffon, à ses femmes qui osent aimer… Candy Saulnier et Sandrine Bonjean leur offrent des charmes divers, la première, une fraîcheur raffinée d’Epinal, la seconde, une tonicité, une drôlerie, puis une métamorphose troublante de star déchue.

Comédiens belges et français se partagent une double distribution: ainsi Christian Crahay et Patrick Donnay s’échangent-ils le rôle très lourd de Gallus. Jean-Marie Villégier a merveilleusement travaillé la fluidité du vers hugolien, les mots ont de la chair et du nerf, mais les corps restent en retrait et le mouvement, la préhension de l’espace ne soutiennent pas l’attention en permanence. Hugo y a peut-être sa part de responsabilité… Le tout se joue dans l’imagination subtile des costumes de Patrice Cauchetier (mêlant époques et étoffes) et un seul décor modulable, assez lourd, un cadre de scène en abyme, triple portique en forme de coeurs de conte de fées avec ors et strass de convention. En comprendre l’intelligence ne suffit pas toujours au plaisir total de la représentation…

Michèle Friche, Les Deux Trouvailles de Gallus, au Théâtre national, au Palace, à Bruxelles, jusqu’

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