» Le CDH a besoin d’un renouveau intellectuel «
On le croyait fâché à mort avec Joëlle Milquet, on le découvre fidèle à jamais au CDH. » Je ne serais pas fier de moi si je votais pour un autre parti « , confie Charles-Ferdinand Nothomb. A sept mois des élections, l’ex-président du PSC vient à la rescousse de Lutgen, Wathelet, Prévot & Cie. » L’équilibre, c’est au centre « , martèle-t-il.
Démocrate-chrétien, il est né. Démocrate-chrétien, il mourra. C’est son sang, sa boussole. Pour toujours, Charles-Ferdinand Nothomb appartient à cette » DC « , dont Giulio Andreotti, Helmut Kohl et Wilfried Martens furent les papes. Il est de ces apôtres de la modération, un coup à gauche, un coup à droite, partagés entre sens de l’Etat et art du louvoiement. De ces centristes dont Mitterrand disait : » Ce sont des bossus qui ne se relèveront jamais. » Aujourd’hui, à 77 ans, l’ancien vice-Premier ministre et président du Parti social-chrétien partage son temps entre Habay-la-Neuve, son fief gaumais, et Louvain-la-Neuve, où il a repris des études de philo. » Vétéran en politique, débutant en philosophie « , selon son expression, il peaufine un mémoire consacré à l’immense philosophe allemand Jürgen Habermas. Rencontre, sur le campus de l’UCL, avec un vieux jeune homme sûr de son fait.
Le Vif/L’Express : » La plus grosse erreur dans l’histoire de la Belgique fut de ne plus avoir des partis nationaux, mais des partis divisés sur une base linguistique « , déclarait en 2012 Steven Vanackere, vice-Premier ministre CD&V. Quel désaveu pour les hommes politiques de votre génération !
Charles-Ferdinand Nothomb : Il y a du vrai dans ce que dit Vanackere. Mais permettez-moi de rappeler cette vérité : dans les années 1970, quand je présidais le PSC et que Wilfried Martens était à la tête du CVP, nous faisions une conférence de presse ensemble au début de chaque campagne électorale. Mieux : une partie du programme était commune aux sociaux-chrétiens francophones et néerlandophones. Puis, Martens et moi sommes montés au gouvernement. On n’aurait pas dû. Je me dis parfois que j’aurais dû rester président de parti pendant trente ans… J’aurais pu peser pour empêcher certaines évolutions. Notamment cet éloignement progressif entre le CVP et le PSC. Qui a succédé à Martens et moi ? Leo Tindemans et Paul Vanden Boeynants. Deux belgicains, pourtant. Mais ces deux-là ne se sont pas parlés. Chacun regardait l’autre comme le chef d’une puissance étrangère.
Vous devenez député en 1968, l’année de la scission PSC-CVP. Vous ne vous sentez pas coupable de n’avoir pu l’empêcher ?
Le parti, c’était deux tiers de Flamands, un tiers de francophones. Dans la mesure où la majorité veut constamment couper, il est difficile pour la minorité de tout le temps vouloir unir. A un moment donné, ça casse. Nous voulions maintenir l’unité, mais pas à n’importe quel prix. Nous ne sommes pas des carpettes.
La défense de l’école libre doit-elle rester au coeur du projet CDH ? Par le passé, on a parfois eu l’impression que c’était le seul socle idéologique de votre parti.
La défense de l’enseignement libre catholique illustre un attachement à la référence chrétienne, mais aussi un attachement à la liberté d’initiative. L’action publique, pour les démocrates-chrétiens, n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, ou de la région. Nous sommes pour la décentralisation. C’est vrai pour l’aide aux handicapés comme pour la propreté des rues : nous ne voulons pas que l’administration s’occupe de tout, d’autant qu’en Wallonie, cette administration pèse d’un poids terrible sur le plan budgétaire. En 1960, le réseau libre représentait 80 % de l’enseignement secondaire en Flandre, moins de 40 % en Wallonie. Cela a joué un rôle considérable dans l’évolution institutionnelle de la Belgique.
Pourquoi ?
En 1988, quand on communautarise l’enseignement, on le sort du budget national. Mais dans les faits, c’est l’Etat fédéral qui continue de payer. A ce moment-là, on a décidé d’une clé de répartition budgétaire entre les deux Communautés : un enfant francophone doit recevoir autant qu’un enfant néerlandophone. Sur le plan des principes, c’est défendable. Mais les négociateurs francophones qui ont accepté ça, Philippe Moureaux et Gérard Deprez en tête, doivent s’en mordre les doigts, même s’ils ne l’avoueront jamais. Quelle a été la conséquence ? L’asphyxie de la Communauté française, car un enfant wallon coûte beaucoup plus cher qu’un enfant flamand, étant donné que l’école officielle coûte elle-même beaucoup plus cher. Elle a été conçue au temps de la prospérité wallonne, principalement dans le Hainaut et à Liège, où, pour de bons motifs, on a développé l’enseignement professionnel, avec beaucoup d’argent. Cela signifie qu’en 1988, les Flamands héritent d’un pactole qui leur arrive au nom de leurs enfants, subventionnés à la moyenne nationale, alors qu’ils coûtent moins cher que les enfants wallons. Donc, les Flamands ont plein d’argent. D’où leur volonté de régionaliser les chemins de fer. Comme ils ont du fric, ils veulent moderniser l’infrastructure, sans attendre le fédéral. C’est l’argent de l’enseignement, ce matelas financier dont dispose la Flandre depuis 1988, qui alimente une bonne part des revendications nationalistes.
Depuis la fin de votre ultime mandat comme président du PSC (1996-1998), vous êtes resté à distance de votre ancien parti. Malgré votre désaccord avec la ligne imprimée par Joëlle Milquet, vous avez toujours voté CDH ?
Oui. Sans l’ombre d’une hésitation. Comme disait Jacques Delors, il y a des unités de vie : on finit comme on commence. Je ne serais pas fier de moi si je votais pour un autre parti.
Aux élections de 2014, le CDH jouera à nouveau sa survie…
De 1968, quand j’entre au Parlement, à 2018, quand je considérerai ma pension, c’est un déclin terrible. Cela me tourmente, parce que je suis un homme de démocratie parlementaire, de représentation proportionnelle et de direction de l’Etat par les centristes. Tout le contraire de ce qu’on voit en France, mais tout ce que ça a été en Belgique tant que les sociaux-chrétiens se tenaient. Quand je suis devenu président du PSC en 1972, les sociaux-chrétiens avaient perdu toutes les élections depuis seize ans. Par le changement d’idées et de têtes, on a gagné pendant huit ans. Mais ensuite, Vanden Boeynants a reperdu tout, en tirant le parti à droite, une stratégie idiote. Plus récemment, Milquet a essayé le renouveau du nom et de l’image. Cela n’a pas marché. Donc aujourd’hui, le CDH a besoin d’un renouveau intellectuel.
De nombreux centristes ont pensé que leur salut passerait par un rapprochement avec les libéraux. Vous aussi, vous y avez cru ?
Quand je suis revenu à la présidence, en 1996, j’ai découvert que mon prédécesseur Gérard Deprez avait conclu deux cartels. Un premier à l’intérieur même du PSC : Deprez s’appuyait sur trois vassaux, Jean-Pierre Grafé à droite, Melchior Wathelet au centre et Philippe Maystadt à gauche. Tout passait par eux trois. Ce n’était plus un parti, mais un cartel entre trois tendances. Et un second cartel avait été négocié avec le PS. Le principe : vous êtes le double de nous, on représente un tiers de la majorité, donc tout sera réparti selon cette proportion-là. Tout ! Le budget, les nominations, les décisions au gouvernement wallon… Deux tiers, un tiers. C’était abominable. » Ils nous écrasent « , me disaient les ministres PSC, à propos des socialistes. Evidemment, si vous leur donnez d’emblée deux tiers de l’espace…
D’où votre décision d’engager des tractations avec les libéraux ?
Le problème, si on voulait se séparer des socialistes, c’est qu’il nous fallait une majorité. Et avec les libéraux, il nous manquait deux sièges. Or il y avait des circonscriptions – Tournai, notamment – où, selon nos calculs, il était possible de gagner un siège si libéraux et sociaux-chrétiens se présentaient ensemble. J’ai alors dit à Louis Michel : je suis prêt à faire un cartel dans l’un ou l’autre arrondissement, si on s’accorde sur un programme commun de gouvernement. Le problème, c’est que mon conseiller pour les calculs électoraux était un ancien collaborateur de Deprez, resté très proche de lui. Deprez savait donc que j’étais en train d’étudier ce scénario-là. Il s’est dit : nom de djoss, je vais le faire moi-même. Et voilà qu’un matin, il lance une grande déclaration dans Le Soir, en demandant l’union du PRL et du PSC. J’étais furax. Si je négociais avec les libéraux, c’est notamment parce que je ne voulais pas que l’image de la Belgique francophone soit entièrement entre les mains du PS. En fin de compte, tout s’est effondré. J’en garde un sentiment de gâchis terrible.
En votre for intérieur, vous vous sentez plus proche du PS ou du MR ?
Je reste un centriste. Naturellement, je me sens plus proche de l’aile belgicaine du PS que des wallingants radicaux. Donc plus proche d’Elio Di Rupo que de Jean-Claude Marcourt. Mais cela n’a rien d’original. Désormais, la bourgeoisie chrétienne adore Di Rupo. Cela m’a frappé cet été. Dans les réceptions, les dîners, tout le monde disait du bien de lui. J’ai pensé : mon Dieu, que le monde a changé ! A présent, c’est à propos des Arabes qu’on se dispute. Là, la division se manifeste, et je me retrouve dans la minorité, car je suis très favorable à l’ouverture, alors que la plupart de ceux que je fréquente sont assez fermés par rapport à l’immigration.
Sur ce sujet, vous pourriez être d’accord avec Joëlle Milquet.
Nous avons 100 000 petits Mohamed. Il faut qu’ils soient de bons Belges dans dix-huit ans. Et pour y arriver, il faut entretenir un courant général de sympathie vis-à-vis de la civilisation arabo-islamique. Le monde européen, chrétien, capitaliste et le monde islamique, arabe, oriental doivent faire une paix mentale, pour ne laisser ni les bourgeois inquiets ni les barbus fanatiques bloquer les deux civilisations. Et là, je pense que les démocrates-chrétiens ont un rôle à jouer. Nous sommes bien placés pour expliquer de l’autre côté qu’on peut être parfaitement laïcs et parfaitement respectueux de la religion. Aujourd’hui, en Egypte ou en Tunisie, soit vous êtes Frère musulman ou Ennahda, soit vous êtes laïc libéral. Ben non, on peut être les deux ! Je pense que l’émergence de partis démocrates-musulmans, ce serait la meilleure manière de pacifier l’Egypte et la Tunisie. Tout comme la Belgique, pour son équilibre, a besoin d’un parti centriste qui soit fort.
Entretien : François Brabant
» Nous avons 100 000 petits Mohamed. Il faut qu’ils soient de bons Belges »
» La bourgeoisie chrétienne adore Di Rupo »
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