» Le Canada a besoin de diversifier ses marchés « 

Paul Desmarais Jr préside le géant Power Corp, leader canadien des services financiers et partenaire d’Albert Frère en Europe. Il évoque pour Le Vif/L’Express les performances économiques de son pays.

Le Vif/L’Express : Vous êtes le représentant de l’une des plus grandes dynasties financières canadiennes. Comment va l’économie de votre pays ?

Paul Desmarais Jr : Le Canada fait des envieux : certes, nous n’avons pu éviter le choc de la crise, mais notre pays va extrêmement bien. Notre économie est la plus performante du G 8. Nous sommes sortis de la récession très rapidement et notre niveau de production a même dépassé le plus haut niveau atteint avant la crise. L’inflation se maintient en deçà de 2 % et le taux de chômage est retombé à 8 %.

Pourquoi le Canada a-t-il rebondi si vite ?

Je vois deux explications principales. Il y a vingt-cinq ans, le Canada souffrait d’importants problèmes budgétaires. Deux décisions clés ont été prises par le Premier ministre de l’époque, Brian Mulroney : d’une part, la création d’une taxe fédérale sur les produits et les services ; d’autre part, la signature de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis d’abord, le Mexique ensuite. Son gouvernement a ainsi créé des revenus supplémentaires. Puis son successeur, Jean Chrétien, s’est attaqué aux déficits publics : il a réduit les coûts, n’a pas remplacé les fonctionnaires partant à la retraite. Les recettes ont donc augmenté, tandis que les dépenses diminuaient. De quoi dégager des surplus élevés et réduire la dette. Celle-ci ne dépassait pas 30 % du PIB canadien avant la crise de 2008. Elle est montée à 35 % du PIB avec le plan de relanceà ce qui reste deux fois inférieur au ratio de plusieurs pays de l’OCDE et nous place dans une situation très favorable. En outre, le gouvernement a déjà fixé pour 2015 l’objectif de retour à l’équilibre budgétaire.

Le Canada a aussi profité d’un encadrement strict de son système bancaireà

La loi canadienne limitait en effet le levier des banques à 20 fois leurs fonds propres. Depuis octobre 2008, la réglementation impose aux particuliers un minimum de 5 % d’apport personnel pour obtenir un prêt hypothécaire résidentiel assuré. De plus, en avril 2010, le gouvernement a augmenté à 20 % la mise de fonds propres exigée pour les transactions immobilières dites  » spéculatives « .

Moins touché par la crise, le Canada a pourtant déployé un plan de relance de 30 milliards de dollarsà

Au lieu de stimuler simplement la consommation, le gouvernement a investi pour les infrastructures et les améliorations de productivité dans l’industrie, ce qui a créé de l’emploi. Par ailleurs, le gouverneur de la Banque du Canada a alerté les ménages sur la possible montée des taux d’intérêt et la nécessité de payer leurs dettes. Le ministre des Finances et les responsables de la réglementation ont resserré les conditions d’octroi du crédit. Personne n’a cédé à la facilité.

Pourquoi le Canada s’est-il opposé à l’encadrement des bonus des traders ?

Les responsables politiques sont souvent pris par les modes et les attentes de la population. Mais en matière de réglementation financière, les soubresauts sont dangereux. Donner un coup de barre quand le bateau a calé n’est pas la meilleure des choses à faire : il vaut mieux agir avant et de façon graduelle pour laisser le temps aux entreprises et aux consommateurs de s’ajuster. Nous croyons au libre marché ainsi qu’à une réglementation réfléchie. Mais pas à une réglementation improvisée.

Qu’attendez-vous de l’accord de partenariat économique entre le Canada et l’Union européenne, qui pourrait être conclu d’ici à la fin de l’année ?

Le Canada a largement bénéficié de l’Accord de libre-échange nord-américain. Tout comme les Etats-Unis et le Mexique. Ce sera la même chose avec l’Union européenne. Nous en tirerons profit des deux côtés de l’Atlantique ; comme nos cultures sont proches, ce sera d’autant plus facile d’accroître nos échanges commerciaux. Le Canada a besoin de diversifier ses marchés, pour réduire sa dépendance envers les Etats-Unis, et cet accord le lui permettra. Le Premier ministre québécois, Jean Charest, a joué un rôle décisif dans ce dossier. Il a aussi réussi quelque chose d’unique avec la France, en signant avec Paris un accord-cadre sur la reconnaissance mutuelle des qualifications : près de 80 professions sont aujourd’hui concernées.

Vous-même, à titre personnel, vivez cette relation Canada-Europe au quotidien, puisque le clan Desmarais est lié en affaires depuis trente ans avec la famille Frèreà

Cette dimension culturelle et francophone a certainement beaucoup joué dans notre entente. Nous sommes deux familles issues de pays cousins de la France. De même, les valeurs familiales et entrepreneuriales constituent un point fort de convergence. Nous avons tous une vision à long terme. Après mon père, Paul, nous représentons avec mon frère, André, la deuxième génération, et nous sommes déjà en train de former la troisième.

Votre père, Paul Desmarais, a organisé sa succession bien avant Albert Frèreà

Mon père nous a passé la main en 1996, voilà quinze ans ! Cela fonctionne très bien et je ne doute pas que chez GBL, la succession annoncée dernièrement fonctionnera aussi bien. Nous travaillons depuis un an sur le passage de relais de Gérald Frère [NDLR : fils d’Albert Frère] et Thierry de Ruedder. Avec Ian Gallienne [NDLR : époux de Ségolène, fille d’Albert Frère] et Gérard Lamarche, jusque-là directeur financier de GDF-Suez, nous avons un tandem associant un représentant de la famille et un dirigeant qui dispose à la fois de l’expérience opérationnelle et financière. C’est précieux pour gérer un holding patrimonial.

PROPOS RECUEILLIS PAR VALÉRIE LION

 » Mon pays a largement bénéficié de l’Accord de libre-échange nord-américain. Ce sera la même chose avec l’Union européenne « 

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