» Le Bronx ? Ça me fait rire ! «
Le comédien molenbeekois Ben Hamidou, Marocain d’origine, estime la polémique actuelle autour de » sa » commune largement disproportionnée. Même s’il reconnaît que tout n’y est pas rose. Interview.
Le Vif/L’Express : Vous vivez à Molenbeek depuis quarante ans et vous y menez, entre autres, des projets culturels avec la population locale. Quelle est votre analyse des critiques dont Molenbeek fait l’objet ?
Ben Hamidou : Evoquer Molenbeek en termes de » Bronx « , c’est en dehors de ma réalité. Ce n’est pas ce que je vis. Ça me fait rire, tant c’est disproportionné. Même s’il y a, ici comme partout, des faits de délinquance. Il ne faut pas, pour cela, stigmatiser toute une commune, ni toute une communauté.
Depuis que vous vivez ici, quelles évolutions avez-vous observées dans la commune ?
Quand j’étais enfant, il n’y avait que quelques familles marocaines ici. Aujourd’hui, il y en a beaucoup, parmi des Pakistanais, des subsahariens, des gens venus des pays de l’Est… Molenbeek a toujours été une commune populaire et accueillante. Les plus pauvres y sont venus parce que c’était une commune ouvrière. Quand certaines communes ont fermé leurs portes aux nouveaux arrivants, Molenbeek a continué à les accepter. Peut-être trop, je ne sais pas. Mais le problème dépasse largement l’échelon local. Bref, aujourd’hui, il reste très peu de Belges ici. Dès qu’ils gagnent mieux leur vie, ils déménagent : ils veulent de plus grandes maisons et des espaces verts. La mixité sociale n’a pas bien évolué ici, ces trente dernières années. La commune a un côté » village « , marqué par la solidarité entre les habitants, mais on y manque de place et je vois parfois des actes d’incivilité. Pour autant, je ne trouve pas que l’on s’y sente en danger.
Il y a plusieurs années, vous avez retiré vos enfants d’une école de Molenbeek pour les inscrire ailleurs. Pourquoi ?
Parce qu’on n’y trouvait pas assez de Belges. Mais je n’alimente pas pour autant le cercle vicieux de la non-mixité sociale parce que, dans ma vie de tous les jours, je continue à pratiquer la mixité. De la même manière, je songe à déménager et à quitter le quartier, parce que mes besoins ont changé. Mais je garderai le contact avec ma commune.
Quelles sont les autres évolutions dont vous avez été témoin ici ?
On voit de moins en moins de policiers dans les rues, sauf pendant la période du ramadan, quand les gens sont un peu plus nerveux. On a, hélas !, perdu les agents de quartier. De temps à autre, des policiers fédéraux viennent ici mais ils se comportent parfois comme s’ils étaient à Sarajevo. J’observe aussi de plus en plus de jeunes qui sont en décrochage scolaire.
Quelle est la responsabilité de Philippe Moureaux dans cette situation ?
Il a en tout cas été trop chargé. Est-ce parce qu’une boîte de pub s’en va qu’il ne sait pas gérer sa commune ? Il ne peut pas faire de miracle. Moureaux a amené beaucoup d’argent ici, via les contrats de quartier. Il a aussi investi dans le logement social et les projets culturels. Je crois qu’il n’est pas toujours bien conseillé. Le clientélisme existe…
Ressentez-vous un repli communautaire parmi les musulmans de Molenbeek ?
Il n’est pas normal que des filles se fassent traiter de putes en rue parce qu’elles ne portent pas le voile : cela veut dire que le religieux devient la règle. Et ça, c’est la fin de tout, parce qu’on n’est pas dans un pays musulman. C’est le fait d’une minorité, qui focalise l’attention. Lorsque la religion devient prétexte pour exclure, c’est dangereux. La majorité des musulmans ne pense pas comme ça, mais elle se tait, par peur de trahir la communauté. Les musulmans devraient dire qu’ils ne sont pas d’accord avec les actes de vandalisme commis par quelques-uns. Mais la communauté manque de leaders ou d’intellectuels qui osent prendre la parole. D’un autre côté, les pouvoirs publics ne devraient pas jouer trop avec les communautés ou les mouvances : ça peut être dangereux. Je suis pour que le religieux reste dans la sphère privée. C’est ce que pensent beaucoup de musulmans, même s’ils ne le disent pas.
Entretien : Laurence van Ruymbeke
» On a, hélas !, perdu les agents de quartier «
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